Kasper Bosmans : Plums, Under Cover
À partir de faits et d’anecdotes tirés de la biographie de Rodolphe II (1552-1612), empereur germanique, homosexuel, féru d’astronomie et d’ésotérisme, qui vécut longtemps reclus dans le belvédère du château de Prague, Kasper Bosmans a imaginé une fantaisie en plusieurs scènes. De fines découpes en marbre et onyx en forme d’œil, de cœur, de prune dessinent au sol les bassins d’un parc. Des vers stylisés en plexiglas coloré et billes de cuivre couvrent le haut mur de l’escalier ; des fûts d’arbres de bronze obliquement tronqués portent des sortes de cadrans astronomiques. Entrent en jeu le design, l’art des jardins, l’héraldique et l’illustration de livres pour enfants, avec abondance de figures animalières, dont un pivert, et récurrence de la prune, solitaire ou par paire. Bosmans a un jour déclaré que son travail était basé sur un « système queer » . Ce système se traduit par un jeu infini de références évidentes ou cryptées augmentées de titres « calembouresques ».
Quittant la forêt et les jardins, l’ultime scène révèle de grandes peintures murales avec en leur centre des têtes de félins, langue pendante, en aplat de couleur. Sur ces langues sont accrochés de petits tableaux où se reconnaît le belvédère. Dernier effet de miroir sur un mode libérateur et sensuel. La fin est un commencement. Cet observatoire sur la place des Vosges, ce baroque aux couleurs d’un graphisme contemporain, l’artiste le présente aussi comme un autoportrait.
Du 1er février au 23 mars 2024, Mendes Wood DM, 25 place des Vosges, 75004 Paris
Le Present. Bruno Serralongue feat. Megane Brauer, Burn-Août, François Curlet, Suzanne Husky
Une exposition individuelle avec en invités trois artistes et une plateforme éditoriale : « Le Présent » témoigne largement des luttes engagées pour défendre le jardin ouvrier des Vertus à Aubervilliers contre le projet de piscine d’entraînement pour les Jeux olympiques. Ce saccage a été interrompu mais il a fait disparaître 4 000 m2. La photographie d’un cerisier, aujourd’hui porté manquant, a valeur de symbole, comme celle d’une main blessée par un tir de grenade. Bruno Serralongue expose un travail et un mode de fonctionnement qui (comme pour la plateforme Burn-Août) déborde du cadre de l’art. Les droits de reproduction des vues de manifestations contre les méga-bassines de Sainte-Soline ont été cédés aux activistes et acteurs principaux, exemplaire de journal à l’appui. Le politique détermine aussi l’esthétique puisque les visages de ces agitateurs de vocation ont été floutés par sécurité tandis que les manifestants ordinaires ont conservé le leur.
Les artistes invités, choisis à l’évidence pour leurs sensibilités proches, montrent de quelle façon la surconsommation a pu trouver une place dans leur travail. La présence de pièces de François Curlet de 2011, notamment le M d’un géant du fast-food transformé en lyre (en écho à la geste de José Bové) permet de retracer un historique des luttes. C’est une autre ironie à l’œuvre dans les ZAC de Suzanne Husky (des hangars de marques, en modèles réduits de céramique) ou dans les pubs de détergents de Mégane Brauer reproduites en perles de verre en regard de la gamme d’étalonnage. Ça ne chante plus.
Du 14 janvier au 3 mars 2024, Air de Paris, 43 rue de la Commune de Paris, 93230 Romainville
Francesc Ruiz : Like a Mobile Model
Francesc Ruiz aime faire circuler les images et les idées, particulièrement sous la forme de fanzines, tracts et autres documents qu’il a l’occasion de présenter dans des architectures de kiosques à journaux ou de bibliothèques. Aujourd’hui l’inspire la boîte à lettres ou plutôt le bloc de boîtes à lettres d’immeubles. Sont présentés cinq blocs verticaux ou horizontaux en carton plume blanc sur lesquels ont été imprimés, recadrés ou mal cadrés, les logos de compagnie. Sur ces façades de boîtes figurent des étiquettes avec des noms empruntés.
Ces versions d’un objet idéalisé (mais respectant les dimensions réglementaires) donnent suffisamment de gages à l’histoire de l’art (minimal, pop, conceptuel) et fonctionnent comme une métaphore à plusieurs portes. Derrière l’une d’elles : la vie privée en butte aux intrusions de messages indésirables ; derrière une autre : la citoyenneté puisque c’est la boîte qui fait l’électeur. D’ailleurs, on a répandu sur le sol une liasse de professions de foi de « votre députée » vidées de leur contenu. Une piste de réflexion mais certainement pas un message sur les mésaventures de la démocratie. À l’angle des murs, très haut, des maquettes de camions poids lourds également logotypés. Ceci explique et complète cela.
Du 3 février au 30 mars 2024, Florence Loewy, 9 rue de Thorigny, 75003 Paris
Theresa Traore Dahlberg : Idrix III
Cinéaste et artiste d’une double culture suédoise et burkinabée, Theresa Traore Dahlberg a trouvé au Burkina Faso un espace de recherche et d’investigation où se mêlent anthropologie, histoire familiale et science-fiction. Idrix, oiseau en bronze inspiré d’un motif d’oiseau Senufo et de Boccioni, est emblématique d’une démarche qui se nourrit à la fois d’éléments traditionnels et de la lecture d’Octavia E. Butler pour imaginer des scénarios alternatifs. À deux endroits dans l’exposition, on rencontre des statuettes de lièvres en bronze qui semblent en conversation. Ces quadrupèdes sont la reproduction agrandie d’une minuscule figurine appartenant au musée d’ethnographie de Stockholm. Animal récurrent dans les fables burkinabées, le lièvre maintient vivant le lien avec la grand-mère de l’artiste, connue pour son talent de conteuse.
Theresa Traore Dahlberg tisse à sa façon des histoires en s’appuyant avant tout sur des matériaux. Un grand rideau de plaques de circuits imprimés sur cuivre (de fabrication suédoise) se répand largement sur le sol. Sur quelques-unes des plaques se glissent des fils de coton blanc (fabriqué par des femmes du Burkina) et de cette rencontre naît une image qui n’est pas assignable à un pays ni à un continent. Ailleurs, d’épaisses bobines de fil de coton et des capsules de verre dans lesquelles ont été insérés de ce fil ou bien des feuilles de cuivre. Ces capsules spatiales et temporelles et les photos de paysages désertiques qui les entourent construisent une autre vision d’afrofuturisme.
Du 25 janvier au 16 mars 2024, Andrehn Schipjenko, 56 rue Chapon, 75003 Paris