Le ministère italien de la Culture a nommé dix nouveaux directeurs de grands musées dans tout le pays, dans le cadre d’un renouvellement qui a largement favorisé les candidats nationaux par rapport aux étrangers. Pour le parti nationaliste de droite Fratelli d’Italia [Frères d’Italie] de la Première ministre Giorgia Meloni, ces mesures permettent de « redonner vie aux musées ». Mais selon certains observateurs, le processus de sélection s’est apparenté à un « système de favoritisme » récompensant des candidats en fonction de leurs positionnements politiques et non de leur qualification.
Les nominations, annoncées le 15 décembre 2023, concernent toutes des citoyens italiens. De fait, le ministre de la Culture, Gennaro Sangiuliano, a mis fin à une importante réforme lancée au cours de la dernière décennie, qui visait à recruter des talents internationaux dans le secteur moribond des musées du pays. En 2014, le ministre de la Culture du Parti démocrate de centre-gauche, Dario Franceschini, avait fait adopter une nouvelle législation donnant aux grands musées d’État et aux sites archéologiques italiens plus d’autonomie par rapport au gouvernement central, y compris en ouvrant le recrutement aux premiers « super directeurs » étrangers.
« Avec Franceschini, nous avons privilégié la qualité et l’ouverture aux étrangers, explique à The Art Newspaper Giuliano Volpe, ancien conseiller au ministère de la Culture sous son mandat. La situation avec le ministre Sangiuliano est profondément différente, car nous avons [maintenant] une Italie qui se referme sur elle-même, une Italie nationaliste. »
Les nouveaux directeurs viennent d’horizons divers. Angelo Crespi, critique d’art et journaliste qui a été responsable de la Culture dans le dernier gouvernement de Silvio Berlusconi, remplace le vétéran canadien-britannique James Bradburne à la Pinacothèque de Brera, à Milan. Renata Cristina Mazzantini, architecte précédemment chargée des projets d’art et de design au palais présidentiel du Quirinal à Rome, succède à Cristiana Collu à la Galleria Nazionale d’Arte Moderna e Contemporanea. Alessandra Necci, biographe historique de personnalités telles qu’Isabelle d’Este, prend les rênes des musées Gallerie Estensi de Modène, Ferrare et Sassuolo.
Le remplacement le plus médiatisé est peut-être celui de l’historien de l’art d’origine allemande Eike Schmidt, l’un des premiers « super directeurs » embauchés en 2015, qui a obtenu la citoyenneté italienne en novembre 2023. Il dirigera le Museo e Real Bosco di Capodimonte à Naples après huit ans (la période maximale) à la tête de la Galerie des Offices à Florence, où Simone Verde lui succède, après avoir mené la rénovation du complexe muséal Pilotta de Parme, moyennant une enveloppe de 22 millions d’euros.
Certains des directeurs les plus expérimentés de l’ère Franceschini ont été écartés des postes à responsabilité qu’ils occupaient, notamment l’Allemande Cecilie Hollberg, qui a supervisé la rénovation en profondeur de la Galleria dell’Accademia de Florence, et Marco Pierini, qui a donné une nouvelle visibilité à la Galleria Nazionale dell’Umbria de Pérouse. Tous deux avaient été présélectionnés pour diriger Capodimonte.
Plaintes concernant le jury de sélection
Le processus de sélection a été conduit par un comité de cinq personnes qui ont fait l’objet l’été dernier de critiques dénonçant leur partialité. Dans une lettre ouverte au ministre de la Culture, la Société italienne des historiens de l’art (Sisca) et le Conseil universitaire pour l’histoire de l’art ont exprimé leur « consternation et leur déception » face à la présence de deux fonctionnaires du ministère de la Culture et d’un seul historien de l’art au sein du comité.
Le président de la Sisca, Massimiliano Rossi, a déclaré à The Art Newspaper que les nominations effectuées par Gennaro Sangiuliano et le directeur des musées du ministère, Massimo Osanna, étaient « pires qu’escompté » et « dépassaient [nos] craintes les plus sombres ». « Ils ont préféré favoriser des personnes sans compétences spécifiques », ajoute-t-il.
Le journaliste Maurizio Crippa, du quotidien Il Foglio, estime que le ministère a promu des amis et des alliés par le biais d’un « système de favoritisme », soulignant que Vittorio Sgarbi, le secrétaire d’État à la Culture qui vient de démissionner, semble s’être attribué le mérite de certaines des nominations. Dans un communiqué de presse félicitant les candidats retenus, Vittorio Sgarbi a décrit Angelo Crespi comme étant « l’un de [mes] collaborateurs les plus expérimentés » et a remercié le ministère pour sa « confiance » dans le choix de Renata Cristina Mazzantini.
Federico Mollicone, député des Frères d’Italie et porte-parole pour les Affaires culturelles, a salué la politique muséale du parti. Selon lui, les nouveaux directeurs contribueront à accroître le nombre des visiteurs. « L’Italie est une superpuissance culturelle mondiale, affirme-t-il. Par le passé, les musées ont malheureusement été peu fréquentés, mais aujourd’hui, grâce au travail acharné du ministre Sangiuliano, ils reviennent à la vie. »
Dynamiser le secteur
Bien avant Gennaro Sangiuliano, son prédécesseur avait mis en place une série de mesures visant à dynamiser les musées italiens et à réduire la bureaucratie. La réforme Franceschini de 2014 a accordé à vingt musées et sites une « autonomie spéciale » par rapport à la gestion centralisée et paralysante des bureaucrates de Rome, en accord avec le programme de modernisation du Premier ministre de l’époque, Matteo Renzi. Le nombre de musées bénéficiant d’une autonomie a par la suite été étendu.
« Nous nous sommes dit que nous possédions certains des musées les plus importants au monde, se souvient Giuliano Volpe. L’Italie dispose d’un patrimoine culturel universel, alors ouvrons-nous aux talents étrangers. Pensons-nous comme un pays européen ouvert sur le monde. »
La nomination de directeurs de musées étrangers – sept parmi les vingt premiers à pouvoir en bénéficier – avait déjà suscité des tensions à l’époque. En 2017, le tribunal administratif de la région du Latium avait annulé certaines nominations, estimant que les postes de l’administration publique devaient être occupés par des Italiens. Cette décision avait été définitivement cassée un an plus tard par le Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative italienne, ce qui a permis aux directeurs contestés de conserver leur poste.
Les « super directeurs » mis en place par Dario Franceschini ont largement rempli leur mission, qui consistait à mettre au goût du jour des musées devenus poussiéreux. James Bradburne a ainsi mené une refonte de la Pinacothèque de Brera, où il a introduit des cartels invitant à la réflexion, rédigés par des romanciers de premier plan, et a remplacé les billets d’entrée journaliers par un programme d’adhésion permettant des visites illimitées pendant trois mois. Eike Schmidt a présenté des expositions audacieuses et mis en place des stratégies via les réseaux sociaux pour attirer aux Offices un public plus jeune et féru de numérique.
De l’autre côté de la ville de Florence, à l’Accademia, la rénovation menée à bien par Cecilie Hollberg a incité les visiteurs à explorer davantage de salles – et pas uniquement celle exposant le David de Michel-Ange –, en valorisant notamment la collection de plus de 400 moulages en plâtre de la gypsothèque. Le statut d’autonomie de l’Accademia a été déterminant pour ce projet. « Le fait de disposer d’un budget propre a permis de planifier les travaux » et d’obtenir du mécénat privé pour le nouvel éclairage et les restaurations, explique-t-elle.
Des musées plus autonomes
Le ministère de Gennaro Sangiuliano continue de s’appuyer sur au moins l’une des réformes muséales de Dario Franceschini. Une loi adoptée en novembre 2023 a accordé une « autonomie spéciale » à dix-sept musées supplémentaires, portant leur nombre total à soixante. La fusion des musées de l’Accademia et du Bargello à Florence les a fait passer de la catégorie dite « de second rang » du ministère à la catégorie « de premier rang », conférant ainsi à leur futur directeur une plus grande indépendance dans la prise de décision. Le Museo Archeologico Nazionale de Naples et les Musei Reali de Turin sont également passés au « premier rang ».
Le renforcement de la politique d’autonomie est une décision « responsable », selon Federico Mollicone, qui « améliorera la qualité et l’offre » des musées et permettra aux directeurs de prendre des « décisions rapides ».
Si Giuliano Volpe déplore la fin apparente d’une ère d’internationalisation dans les musées italiens, il estime que l’« autonomie spéciale » inscrite dans la réforme Franceschini sera préservée à long terme. « Personne ne reviendrait en arrière aujourd’hui, pas même ceux qui nous ont critiqués à l’époque », affirme-t-il.