Cet hiver, la sage Genève fait la foire. Alors que l’ambiance mondiale incite à la morosité en ce début d’année, la cité helvète, plus connue pour son goût pour le minimalisme et le conceptuel, s’encanaille. Le galeriste Olivier Varenne présente une exposition dans un ancien cinéma porno. Au Musée d’art et d’histoire, invité par Marc-Olivier Wahler, Wim Delvoye fait passer un circuit à billes géant à travers des tableaux de Picasso et des gravures de Piranèse. « Je suis un enfant », glisse, malicieux, le trublion belge. À artgenève, c’est Nicolas Trembley qui incite les visiteurs à retomber en enfance. Le commissaire du tout nouveau secteur baptisé Sur mesure, dédié aux formats monumentaux, a réuni une énorme Valkyrie Mumbet de Joana Vasconcelos évoquant les « pieuvres » des fêtes foraines, mais aussi un buggy et des panneaux pop de Blair Thurman, un drôle de toboggan d’Oli Epp, un nain de Paul McCarthy et enfin un grand panorama mi-réjouissant mi-inquiétant de Dominique Gonzalez-Foerster. Comptez 1,5 million d’euros pour l’installation textile de Joana Vasconcelos, proposée par la galerie Gowen Contemporary de Genève. « Cette section n’est pas faite sur le modèle d’Unlimited à Art Basel, confie Nicolas Trembley. En effet, ici, il s’agit d’une exposition où les œuvres dialoguent entre elles, d’un projet davantage curaté ». Mais derrière la « Fun fair » esquissée par le commissaire, les œuvres interpellent souvent le visiteur…
Autre point fort de la foire : ses solo shows, au nombre de 30 ! Outre ceux habituellement accolés aux stands des galeries, la nouvelle directrice de la foire, Charlotte Diwan, a mis en place un petit secteur qui leur est entièrement dédié. « Nous souhaitions réduire un peu le nombre de stands d’artgenève pour en préserver le caractère intimiste, et ces solo shows permettent à de jeunes galeries et de jeunes artistes de participer à la foire », explique-t-elle. Certaines enseignes suisses qui auparavant disposaient à la fois d’un stand principal et d’un solo show ont toutefois été un peu déçues de ne plus avoir droit qu’au solo, pour garder de la place pour les grosses galeries internationales dont la présence participe aussi grandement à la qualité du Salon. Figurent ainsi cette année Hauser & Wirth, Mennour, Perrotin, Templon, Obadia, Thaddaeus Ropac, Eva Presenhuber… « La foire a bien commencé, confie Daniel Templon, qui a apporté entre autres une œuvre de Chiharu Shiota. L’artiste japonaise, avec le concours de la galerie Olivier Varenne, a créé les décors de l’opéra de Mozart Idoménée, présenté au Grand théâtre de Genève à partir du 21 février. La foire expose sur un stand le projet préparatoire.
Parmi les solo shows notables figure celui de Sylvie Fleury chez Karma international (Zurich), dont la fusée rose fuchsia prête à décoller se veut une critique de la domination phallique… La galerie a cédé plusieurs pièces (à partir de 12 000 francs suisses) au vernissage le 24 janvier, notamment à un musée helvète. Autres focus qui méritent le détour : les dessins gentiment érotiques de Jannis Kounellis des années 1970 (Larkin Erdmann) ; le Brésilien Chico da Silva, une redécouverte chez Ars Belga de Bruxelles et Genève (à tout de même 50 000 dollars pièce) ; Léo Fourdrinier chez Les Filles du Calvaire (Paris) ; le (petit) focus d’Emilio Isgro et ses mappemondes revisitées chez M77 (Milan) ; ou encore les textiles de Zhenya Machneva chez Georges-Philippe et Nathalie Vallois (Paris).
Outre le vivier international genevois, artgenève attire désormais des visiteurs au-delà de la seule cité de Calvin. Des jeunes fortunes de la tech ou des crypto-monnaies au goût à former jusqu’aux collectionneurs émérites tels le financier américain Asher Edelman, Genève reste une valeur sûre pour les galeries. Toutefois, comme le note Pierre-Henri Jaccaud (galerie Skopia, Genève), « cette année, les œuvres à 100 000 francs suisses se vendent mieux que celles à plus petit prix », à l’instar de l’imposant paysage de Thomas Huber, qui a attiré le 24 janvier deux acheteurs potentiels, dont une collection américaine via un advisor. Alors que le marché se contracte, comme l’observent les spécialistes, les galeries ont tout intérêt à chouchouter les vrais collectionneurs et les grosses fortunes. Les adeptes des achats « coup de cœur » comme les acheteurs-investisseurs ayant en effet tendance à davantage arbitrer avant de sortir leur chéquier…
artgenève, 25 - 28 janvier 2024, Palexpo, route François-Peyrot 30, 1218 Le Grand-Saconnex.