À la mort de l’artiste Jesse Murry, en 1993, à l’âge de 44 ans, son partenaire George Centanni a réuni le contenu de son atelier avec Lisa Yuskavage, amie proche de Murry et collègue peintre. Ces dernières années, les peintures abstraites de Murry – aux surfaces denses, aux couleurs lumineuses et aux traits larges – ont été exposées dans des galeries telles que David Zwirner, et des sélections de ses écrits ont été publiées. Mais ce n’est qu’aujourd’hui que la somme de ses archives (poèmes, critiques, croquis, notes d’enseignement, etc.) est révélée et étudiée, grâce à un projet mené par le Hauser & Wirth Institute, la fondation à but non lucratif qui fournit gracieusement des ressources pour la préservation des archives d’artistes.
« Tout a été conservé en sécurité pendant toutes ces années par amour et par chance, explique Lisa Yuskavage, secrétaire de la Jesse Murry Foundation. C’est un peu comme si on avait mis de l’ordre dans cet ensemble chaotique et qu’on le remettait à une institution en respectant ses critères, sans qu’elle n’ait à y faire le ménage. »
Les archives de Jesse Murry sont l’une des trois dont le Hauser & Wirth Institute a commencé à s’occuper dans ses locaux de Long Island City, dans le Queens, afin d’en faciliter l’accès. L’équipe de l’institut a également pris en charge l’ensemble des archives institutionnelles de Dieu Donné, organisation basée à Brooklyn, et d’une partie de celles du Drawing Center de New York. La nouvelle politique de gestion des archivages internes qui vient d’être annoncée fait partie d’un programme récent du Hauser & Wirth Institute qui offre des services de catalogage, de restauration et de numérisation aux professionnels du monde de l’art ne disposant pas de telles ressources. En outre, l’institut accorde des subventions aux organisations qui souhaitent améliorer l’accès à leurs archives selon leurs propres conditions.
Ces opportunités visent à remédier à un problème auquel sont confrontés de nombreux artistes et structures artistiques, en particulier de petite et moyenne dimension : l’incapacité de stocker et de partager leurs archives de plus en plus nombreuses dans un contexte de budgets serrés, de flambée des prix de l’immobilier et de progrès technologiques qui rendent certains supports obsolètes.
« Tout le monde de l’art se consacre aux œuvres, et presque personne ne se préoccupe des archives, pointe Lisa Darms, directrice exécutive du Hauser & Wirth Institute. Peu de structures disposent même d’archivistes. C’est un travail rarement considéré comme indispensable. Souvent, en cas de récession économique, le projet ou la personne chargée des archives sont les premiers à disparaître. »
Le Drawing Center ne compte pas d’archiviste parmi son personnel, et le traitement des demandes d’accès à ses documents incombe généralement à son conservateur associé. Ses fonds étant conservés hors site, dans un espace de stockage dans le New Jersey, l’accès aux centaines de boîtes contenant l’historique des expositions de l’institution, des diapositives et photos, des correspondances d’artistes et autres est un véritable défi.
« Nous nous sommes sentis mal outillés à chaque fois que des demandes nous parvenaient, parce que nous ne pouvions pas vraiment faciliter cette importante recherche sur ces artistes, explique Allison Underwood, directrice de la communication du Drawing Center. Nous avons donc ressenti le besoin de faire appel à une structure extérieure possédant une réelle expertise dans ce domaine. »
Compte tenu de la taille et de la nature variables des archives, les apports du Hauser & Wirth Institute sont différents à chaque projet. Lisa Darms a aidé le Drawing Center à trouver un lieu d’accueil permanent et adapté pour la recherche sur ses archives à la Fales Library & Special Collections de l’université de New York ; un boursier financé par le Hauser & Wirth Institute numérisera un ensemble relativement réduit de 30 classeurs, et la Fales traitera éventuellement le reste. « Nous sommes à trois ans de notre 50e anniversaire, il était devenu impérieux pour nous de commencer à réfléchir à cette question, explique Allison Underwood. Sans ces archives [initiales], il est vraiment difficile de raconter l’histoire du Drawing Center. »
Une fois traitées, les archives de Dieu Donné lui seront rendues pour qu’elles soient accessibles directement dans ses bureaux. « Parce qu’une partie de notre mission est de permettre aux organisations d’arriver à une autonomie dans l’archivage, plutôt que de considérer que tous les documents devraient rejoindre des bibliothèques, nous donnons aux gens le choix de conserver leurs archives en interne pour en garder le contrôle et en permettre l’accès, ou de faire un don à une institution qui a les ressources nécessaires pour assurer une conservation et un accès permanents, explique Lisa Darms. Lorsque nous restituons des archives à leur propriétaire, nous ne le faisons que si nous sommes convaincus que l’organisation a la capacité et la volonté de rendre les archives accessibles au public. »
Les archives de Murry sont modestes, à l’image de sa trop courte carrière – quatre boîtes contenant sa correspondance et ses carnets – et n’ont pas encore trouvé de lieu d’accueil permanent. À terme, Lisa Yuskavage espère ouvrir un centre d’enseignement dans une université ou une bibliothèque, où les gens auront un libre accès à ses écrits. La divulgation de ses archives après des décennies, ajoute-t-elle, pourrait également inciter d’autres personnes à vouloir partager avec la Jesse Murry Foundation des documents qui permettent de mieux comprendre l’artiste disparu, et contribuer ainsi à enrichir ce fonds d’archives.
« La vie qu’il a menée est extraordinaire et je ne cesse de me demander ce qui subsiste d’autre, déclare Lisa Yuskavage. Il doit exister davantage d’archives ; j’espère que nous les découvrirons grâce à ce que nous essayons de mettre en place. »