Stanley Whitney : Dear Paris
Il y a une trentaine d’années, Stanley Whitney a défini le principe de construction de tous ses tableaux. Il peint des carrés de couleurs par rangées en commençant toujours par le bord supérieur gauche et délimite chaque rangée en traçant une ligne horizontale. Au milieu du tableau, généralement à la deuxième rangée, les carrés sont remplacés par des rectangles verticaux. Ceux-ci font éviter la grille en même temps qu’ils produisent de l’espace. Les carrés reviennent à la ligne ou aux lignes d’après. La peinture à l’huile est rendue très fluide, la manière de l’appliquer varie, presque une affaire de toucher. Cette rare combinaison de rigueur et de très grande liberté (pas de plan, une couleur qui en « appelle » une autre, un tracé à main levée, géométrie sentie plutôt que guidée) fait la signature d’une œuvre fondée sur la variation et la seule interaction des couleurs dans l’axe vertical et horizontal.
Whitney n’a choisi qu’un grand tableau, Dear Paris, qu’il accompagne de quatre gouaches sur papier. Dans Dear Paris, on remarque comment un certain rouge traverse les rangées, se décale à droite et s’étend pour tracer la bande horizontale au point d’apparaître comme l’orchestrateur de l’œuvre. On voit aussi en bas à gauche sur la dernière rangée, plus mince comme à demi coupée, un petit rectangle jaune d’un effet très « mondrianesque ». Les gouaches reposent sur le même principe mais adapté au médium : de l’espace entre les couleurs, un dessin très lâche et des effets d’aquarelle. L’inspiration entre tableau et œuvres sur papier semble couler dans les deux sens.
Du 10 janvier au 28 février 2024, Gagosian, 9, rue de Castiglione, 75001 Paris
Maja Bajevic : Damaged Goods
Maja Bajevic a conçu une exposition d’une rare densité qui ressemble à un bilan ou à un portrait éclaté. À une extrémité du parcours, un accrochage de tableaux dans une veine néoexpressionniste avec des éléments de collage. Ils sont signés Marcelle Marcel, un double, celle qu’elle aurait pu être si, au sortir des Beaux-Arts, elle n’avait choisi une orientation conceptuelle et politique. En faisant entendre cette voix longtemps tue sur le mode d’une fiction, Maja Bajevic rend d’une certaine façon hommage à l’élan de la jeunesse tout en s’offrant une respiration. À l’autre bout du parcours est projetée une vidéo noir et blanc dans laquelle l’artiste, de face et dans ses deux profils, égrène en trois langues des regrets et motifs d’insatisfaction. Le monologue commence : « Je suis désolée » et cela peut s’entendre en plusieurs sens. Entre cette vraie-fausse confession polyphonique et la libre expression du peintre, s’intercale le dialogue impossible d’un personnage en souffrance et d’un thérapeute sous la forme de textes projetés sur les pales de deux ventilateurs. Des paroles en l’air, certainement, mais aussi une plainte et une colère qui soufflent sur l’ensemble de l’exposition, qu’il s’agisse de l’exil (An artist who has no country is no artist) ou de l’engagement féministe. Dans ce dernier registre, une broderie en particulier confronte sous forme de graphique coloré le classement (sur quel marché ? ) de « She » en ligne ascendante, et de « He » en ligne déclinante : Why don’t you love me anymore ?
Du 6 janvier au 22 février 2024, prolongée jusqu'au 2 mars 2024, Galerie Peter Kilchmann, 11-13 rue des Arquebusiers, 75003 Paris
Darío Villalba
C’est par les Encapsulados qu’il présente en 1970 que Darío Villalba acquiert une reconnaissance internationale. Ce sont des photos noir et blanc de SDF agrandies et détourées, insérées dans des coques de résine transparente et suspendues : fusion du document et du design surgie d’une Espagne arriérée à l’ère de la conquête spatiale. Parce qu’elles tiennent à la fois de la célébration et de l’isolement hygiéniste, ces œuvres ont gardé leur pouvoir de perturbation.
Autour d’un seul de ces encapsulés est montré un ensemble de photos uniques ou de polyptyques monumentaux. Toujours des figures de la marginalité, celles que Darío Villalba n’a cessé de fréquenter à Londres, Madrid ou New York. Difficile de faire la part de l’empathie et de la fascination, il est clair en tout cas que ces visages et caractères n’ont jamais laissé l’artiste en paix, l’amenant à les reprendre et à les retravailler durant des décennies. Les nombreuses retouches et maculations ont des caractères divers et parfois ambivalents : simples rehauts ou gestes de peintre, camouflages ou effets de dégradation.
On voit aussi un ensemble de Documentos Basicos, documents de travail et journal, mêlant photos personnelles et images trouvées. Si la grande affaire de Villalba fut d’amener la photo au tableau ou à la sculpture, on le découvre ici monteur et essayiste.
Du 15 décembre 2023 au 27 janvier 2024, Galerie Poggi, 135 rue Saint-Martin, 75004 Paris
Lesley Foxcroft : Wall Sculptures
Sculptrice plutôt qu’artiste conceptuelle comme le laconisme de ses sculptures murales pourraient le laisser croire, Lesley Foxcroft travaille avec l’architecture des lieux en usant de matériaux sans éclat : MDF, métal, caoutchouc et visserie ordinaire. Certaines de ses œuvres sont si discrètes, si ténues qu’elles pourraient passer pour des parties d’équipements si leur positionnement précisément déterminé et les espacements entre elles ne les déclarait objets d’attention. La pliure d’une mince plaque de métal, la torsion de deux bandes de MDF bordées d’un adhésif noir s’imposent à nous comme dessins et gestes de sculpture. Dans une vision d’ensemble, ces objets opèrent comme des marqueurs visuels, des signes de ponctuation d’une longue ligne virtuelle à hauteur d’œil. Quatre pièces ont été conçues spécialement pour l’exposition, sans qu’il nous soit dit lesquelles, mais on peut penser que figurent parmi elles les deux pièces d’angles qui soulignent de la plus simple façon l’articulation des murs. Au sein de cet espace dépouillé, une très longue ligne horizontale produit une intensification de l’expérience et crée comme un événement. Converge est constitué de deux séries de plaques rectangulaires qui se chevauchent et se rejoignent à l’angle de deux murs. Sur le mur de gauche, huit plaques de MDF avec une bande centrale en métal, et sur le mur de droite, six plaques en métal avec une bande centrale en MDF. Par la superposition des plaques qui ne fait apparaître qu’au point de convergence deux plaques dans leur totalité, par la symétrie inversée des motifs, l’œuvre dessine une ligne de vitesse au sein du parcours.
Du 7 décembre 2023 au 27 janvier 2024, Ceysson & Bénétière, 23 rue du Renard, 75004 Paris