Qu’elle soit le sujet de l’image ou qu’elle contribue à la transcender, la matière est au cœur des préoccupations de la photographie contemporaine. Ces questions ont également irrigué la politique d’acquisition du département photographique de la Bibliothèque nationale de France (BnF), depuis les années 1960, sous la houlette de son conservateur Jean-Claude Lemagny, jusqu’à aujourd’hui, grâce à Héloïse Conésa qui lui a succédé en 2014. La conservatrice est à l’origine de ce superbe panorama : 250 œuvres et autant de manières d’aborder la matière.
L’exposition « Épreuves de la matière. La photographie contemporaine et ses métamorphoses » s’intéresse d’abord aux syntaxes mises en place par les photographes pour représenter les textures naturelles ou artificielles. Fragments et gros plans, jeux entre vide et plein, ou flou et net : chacun s’approprie la matière pour bien souvent altérer notre perception. « La photographie a un véritable pouvoir de métamorphose et peut nous faire projeter sur l’image tout un imaginaire des matières », souligne Héloïse Conésa. À travers l’objectif de Noelle Hoeppe, le tissu prend ainsi des allures organiques et viscérales.
EXPÉRIENCES, TRANSFORMATIONS ET EFFACEMENT
Est ensuite soulignée l’importance du geste et de l’expérimentation, en chambre noire ou sur ordinateur, Héloïse Conésa tenant à ne pas « renvoyer dos à dos matérialité de l’argentique et immatérialité supposée du numérique ». Une malléabilité qui permet des moments de pure poésie, comme les Phasmes de Gladys ou la révélation de l’image que donne à voir Laurence Aëgerter.
Chez les jeunes générations, ce travail de la matière est également un moyen de proposer une lecture du monde et des défis de la société. Laure Winant attire notre regard sur la pollution en intégrant à son processus photographique du noir de carbone prélevé sur le pic du Midi.
La photographie s’hybride par ailleurs lorsqu’elle croise d’autres expressions artistiques, comme chez Morvarid K, photographe iranienne réfugiée en France qui, en guérisseuse, recouvre au stylo-bille vert des clichés de forêts australiennes calcinées. Anne-Lise Broyer répond quant à elle à l’appel lancé par Georges Bataille de retrouver l’impermanence des fleurs, à travers un usage subtil de la mine graphite sur les tirages.
La matière photographique est considérée, enfin, pour sa fragilité même, dont s’emparent nombre de travaux qui font écho à celle du monde, usant de sa fugacité pour aborder les questions de mémoire et de souvenir. Laurent Lafolie confronte la technique résistante du platine palladium à la délicatesse du papier kozo, tandis qu’Oscar Muñoz tente en vain de saisir un visage dans un Narcisse poétique.
Ces quelques exemples ne sont qu’un fragment de ce superbe panthéon matiériste. Un aperçu de l’infinité des possibles du médium.
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« Épreuves de la matière. La photographie contemporaine et ses métamorphoses », 10 octobre 2023-4 février 2024, Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, quai François-Mauriac, Paris.