Le haut bloc noir du bâtiment du MARe, avec son rez-de-chaussée en verre, son jardin et ses salles étroites, a été conçu par l’architecte libanais Youssef Tohme, très inspiré par Jean Nouvel. Cette institution fondée par Roger Azoury, citoyen roumain né au Liban, fête ses cinq d’ans d’existence avec cette exposition qui fait accourir les Roumains malgré le prix du billet de 20 euros. Car « L’effet Picasso », prolongé jusqu’au 22 janvier 2024, selon Erwin Kessler, directeur du musée et commissaire de l’exposition avec Joanne Snrech, conservatrice au musée national Picasso-Paris, est une réjouissante démonstration de l’influence de Picasso sur deux générations d’artistes roumains depuis les années 1960.
En confrontant 46 œuvres de l’artiste d’origine espagnol avec 65 créations de ses homologues roumains nés entre 1938 et 1980, l’exposition couvre la période d’activité de Picasso de 1907 à 1970.
L’événement est marquant puisque aucune exposition de Picasso n’avait été organisée en Roumanie depuis cinquante-cinq ans. À l’époque, la manifestation, née de l’initiative privée de Daniel-Henry Kahnweiler et de la galerie Louise Leiris, avait permis aux Roumains de découvrir 150 gravures, mais pas un seul tableau ni une seule sculpture. La commissaire Joanne Snrech assure qu’elle n’a bizarrement trouvé aucune trace de cette exposition dans les archives du musée national Picasso-Paris…
Les gravures et lithographies sont également en nombre dans l’exposition actuelle, certainement pour des raisons financières, car les assurances et le transport représentent un effort exceptionnel pour ce musée privé. Le visiteur y découvre tout de même des toiles importantes, chronologiquement accrochées sur des murs peints en rose, et harmonieusement mis en dialogue avec un choix remarquable de peintures et sculptures d’artistes roumains. Erwin Kessler connaît bien l’œuvre des artistes de son pays, dont deux des plus jeunes sont des stars internationales : Victor Man, né en 1974, représenté par les galeries berlinoises Neu et Max Hetzler ; et Mircea Cantor, né en 1977, lauréat du prix Marcel Duchamp en 2011, étoile de la Dvir Gallery (Tel Aviv/Paris).
L’influence de Picasso guida peut-être le pinceau pour peindre la peau de l’Autoportrait de Victor Man de 1992-1994. Mais la technique et la palette de l’artiste ont complètement changé depuis. De son côté, Mircea Cantor s’est attaqué à Guernica en 2015 : Sic Transit Gloria Mundi, sur carton beige, évacue le côté esthétique de l’œuvre pacifiste de Picasso, en optant pour un support fragile et en peignant littéralement avec du feu.
Le dessinateur minimaliste Florin Mitroi (1938-2002) partageait la joie érotique de Picasso en dessinant femmes et couples, mais avec une plume acerbe. Stefan Bertalan les rattrape avec ses crayons de couleur et ses traits en boucles pour IGURAKA-KURU (La bouche est comme le cul) – un prêt de la galeriste allemande Esther Schipper, qui a en outre exposé Florin Mitroi en 2019 dans sa galerie.
Plus convenable, mais sans respect pour le modèle, apparaît le portrait en pied de Picasso (2010), habillé d’une robe bleue clownesque, de Vladimir Zamfirescu.
En revanche, le tableau de 1969 Portrait d’un sportif, d’Ion Grigorescu (né en 1945 et artiste roumain reconnu), n’est pas sans évoquer un beau personnage du chef-d’œuvre de la période bleue picassienne Les Noces de Pierrette (1905).
Selon Erwin Kessler, des pourparlers sont en cours pour que l’exposition soit, après Bucarest, ensuite présentée à Timisoara et à Sibiu. Reste encore à en finaliser le financement.
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« L’effet Picasso », jusqu’au 22 janvier 2024, MARe, Bulevardul Primăverii 15, Bucarest, Roumanie