Sara Flores
La concomitance de l’exposition « Vision Chamaniques » au musée du quai Branly-Jacques Chirac, à laquelle elle participe, et de cette exposition personnelle en galerie permet de porter un double regard, anthropologique et esthétique, sur le travail de Sara Flores. Celle-ci appartient au peuple Shipibo-Konibo, communauté péruvienne du bassin amazonien. Elle pratique le « kené », un art du dessin qui traditionnellement orne tissus ou poteries et qu’elle amène à la forme tableau. Cet art de nature spirituel et doté de vertus curatives auquel elle a été très jeune initiée, elle en use avec liberté et invention. La vision lui appartient. Beaucoup de dessins partent des formes et ramifications des feuilles, particulièrement celles de l’ayahuasca (plante hallucinogène qui nourrit la pratique chamanique), des écailles de l’anaconda combinées à des représentations végétales ou animales. Les compositions sont faites de motifs symétriques subdivisés en multiples cellules, avec souvent une croix centrale et quelques zones colorées.
Pour ce qui regarde la fabrication des toiles, l’artiste n’emploie que des couleurs naturelles trouvées dans les feuilles et les écorces de plantes qu’elle fixe avec de l’argile. Elle voit dans ce recours à des moyens strictement naturels et locaux un acte de résistance et le moyen de conserver vivante la culture Shipibo. Les œuvres de Sara Flores abordent donc de nombreux thèmes de réflexion qui vont de la question de l’innovation au sein d’une tradition, à l’écologie et à la transmission. Elles invitent à des rapprochements avec le minimalisme ou l’op art mais leur rayonnement et leur vibration s’étendent au-delà des limites de la toile.
Du 13 décembre 2023 au 13 janvier 2024, White Cube Paris, 10 avenue Matignon, 75008 Paris
Mathieu Pernot : L’Atlas en mouvement
C’est une exposition personnelle de nature ouverte dans laquelle Mathieu Pernot a choisi de faire entendre d’autres voix en plus de la sienne. Le témoignage est mis en avant avec, en premier lieu, une invitation lancée à Najah Albukaï, artiste syrien réfugié à Paris. Celui-ci représente dans des dessins et gravures les tortures vécues et vues par lui dans les prisons de son pays d’origine. Autre forme de témoignage : les récits de périples méditerranéens rédigés par des migrants en français et en arabe. Dans cet atlas, on trouve aussi un herbier en langue arabe, des parcours de migrants tracés au stylo-bille sur des séries de feuilles A4, et une carte côtière sur laquelle Mathieu Pernot a marqué au crayon le descriptif de quelques naufrages survenus dans cette zone. Cette carte, il la met en rapport avec des photos de bord de mer et d’autres d’oliviers à Lesbos et fait ainsi tanguer sa place d’artiste-commissaire.
Le photographe a rassemblé deux grands groupes d’images. L’un est composé de portraits de migrants devant un feu à Lesbos. L’autre superpose trois lignes décalées de cinq photos chacune : de récentes ruines d’Alep, les tentes de Lesbos, les abris des sans-papiers à Stalingrad. Ce montage d’images éloquent exemplifie le difficile jeu de positions sur la frontière de l’esthétique et du politique : faire art sans abuser des signes de l’art. C’est aussi par les questions qu’il soulève et ce qu’il ne dit pas (les modalités des collaborations, par exemple) que cet atlas peut être dit en mouvement.
Du 1er décembre 2023 au 13 janvier 2024, Galerie Éric Dupont, 138, rue du Temple, 75003 Paris
Henrik Samuelsson : Unit of Silence
Henrik Samuelsson a peint cette série de tableaux durant les confinements successifs imposés en Suède en 2020. Le titre de « Refugium » attribué à cinq d’entre eux souligne le sentiment général. Ce sont des vues d’architectures sans présence humaine visible, toutes symétriques, tracées au tire-ligne. On croit reconnaître dans certaines des façades de locaux commerciaux ou d’espaces d’activités, des intérieurs de bureau, dans d’autres les colonnes ou les murs d’édifices imposants, bâtiment public, temple ou piazza (cela importe peu, il s’agit de constructions imaginaires, des archétypes) qui ouvrent sur une zone de clarté. Les tonalités sont grises et brunes. Les toiles sont accrochées bas de manière à s’adresser au corps autant qu’au regard et l’effet d’ensemble joue à plein dans le large espace aveugle qui les accueille. Certaines vues de façade semblent même avoir été inspirées par la paroi vitrée délimitant le bureau de la galerie.
Dans cet ensemble qui tient l’équilibre entre une simulation d’architecte et le rappel lointain de la Città ideale, une œuvre offre une forme de respiration. Il s’agit d’un paysage lacustre aperçu par les vitres d’une villa moderniste et qui permet de voir un vrai ciel, des nuées d’oiseaux. Ces tableaux-seuils invitent à un dépassement de leur thème pour ne considérer que de pures questions de peinture.
Du 9 novembre 2023 au 13 janvier 2024, Galerie Laurent Godin, 36 bis rue Eugène Oudiné, 75013 Paris
Jean-Baptiste Perret : Sous les radars
Cette exposition est la première de Jean-Baptiste Perret, cinéaste remarqué dans les circuits du cinéma documentaire. Il présente trois films brefs qui tournent ensemble dans une même salle et, dans une autre, un court-métrage de type enquête. Les trois films – L’Arrivée au refuge, La Cueillette de l’Osier et La Nasse – montrent des actions ou des activités (l’un fait entendre un peu de conversations) exercées par des individus ayant choisi de vivre à l’écart, quelque part en Haute-Loire. Ils se sont construit « un espace rien qu’à eux » et c’est avec un sens manifeste du cadre que Jean-Baptiste Perret les saisit dans leur décor. Portraits-paysages entrevus dans le respect d’un certain secret. L’œil navigue de l’un à l’autre et trouve à les accorder.
La Surface Unique, film d’une vingtaine de minutes, est porté par le récit que fait un éleveur d’étranges phénomènes électromagnétiques qui affolent ses vaches et conduit à l’extinction du troupeau. En quelques séquences brèves, on assiste à l’effondrement psychologique de l’éleveur et on observe la souffrance des bêtes. L’origine supposée du mal n’est jamais nommée, aussi peut-on se croire transporté dans une fiction paranoïaque. À la vision de ceux qui échappent métaphoriquement aux radars, le film offre le contrechamp terrible de celui qui vit à proximité d’une antenne 4G.
Du 17 novembre 2023 au 27 janvier 2024, Salle Principale, 28 rue de Thionville, 75019 Paris