Rien ne va plus dans le petit monde parisien du dessin. Depuis plusieurs jours, l’une de ses personnalités les plus respectées est sous le feu des projecteurs. Président de la Société des Amis du Louvre depuis 2016, Louis-Antoine Prat, 78 ans, a fait entrer dans les collections du musée de nombreuses œuvres majeures. Ce grand spécialiste du dessin ancien, qui a été chargé de mission au Louvre, travaillant auprès de son président de l’époque, Pierre Rosenberg, sur les catalogues raisonnés des dessins de Poussin, Watteau ou David, est aussi un éminent collectionneur. Près de 125 de ses feuilles d’art français des XVIIe et XVIIIe siècles sont présentées en ce moment au musée des Beaux-Arts d’Orléans, après un volet consacré au XIXe siècle montré en 2020 au Petit Palais à Paris.
C’est un autre visage que révèlent toutefois des professionnels du marché de l’art qui sortent du silence après ses propos dans le magazine du Louvre Grande Galerie et la parution de son dernier recueil Bien trop près du feu. Et autres nouvelles (éditions El Viso), écrites avec une plume parfois drôle, parfois moins. Dans Les allées du Salon, l’une d’entre elles, plusieurs passages ont en effet fait tiquer les marchands. Lors de sa visite au Salon du dessin, le personnage principal y rencontre un certain Nicky Schwarz, « personnage adipeux et rebondi, un peu repoussant d’aspect ». « Vêtu d’un costume beige tirant sur le marronnasse, cravate de travers, Schwarz discutait au coin du stand de Bayser avec un jeune homme inconnu, à l’allure efféminée comme ce milieu en secrétait chaque jour de nouveaux ». Suite à un différend sur le stand avec ce Nicky Schwarz, le héros manque de s’emporter. « L’envie de cogner cette face bouffie et satisfaite, d’étendre à terre ce personnage voûté et cauteleux, le traversait, s’estompait, revenait. Mais il n’en ferait rien, soixante-dix ans de bonne éducation et de maintien assumé lui retenaient la main avec force ». À ce vocabulaire choisi rappelant aux esprits avertis les grandes heures de l’antisémitisme et de l’homophobie s’ajoute le soupçon d’une charge ad hominem. Outré, le marchand parisien Nicolas Schwed s’est reconnu dans le portrait. En ouverture de son livre, Louis-Antoine Prat a pris soin de préciser qu’il s’agit d’une œuvre de fiction…
Ce n’est pas tout. Dans la même nouvelle, l’auteur éreinte les « sœurs Lourmarin, héritières d’une des plus vieilles maisons de la place ». Racontant une transaction inaboutie entre le personnage principal, Cédric, et les deux marchandes autour d’un dessin de Fragonard, proposé d’abord très cher au héros qui l’a refusé à ce prix avant d’être plus tard proposé à un tarif très inférieur au Salon du Dessin. De nombreux acteurs du marché y ont reconnu les sœurs Prouté, « l’honnêteté et la gentillesse même », confie le spécialiste et conseiller Étienne Bréton, associé à Saint Honoré Art Consulting aux côtés notamment de Nicolas Schwed. Une opinion partagée par tous nos interlocuteurs…
Louis-Antoine Prat ne semble guère aimer le marché de l’art, ni ses pratiques. Souvent des découvreurs, les marchands sont aussi naturellement en quête de profits à la revente… « J’aime bien certains marchands, mais pas ceux qui m’ont fait des coups », nous a-t-il confié. Certains l’accusent d’avoir profité de sa position dominante de président de la Société des Amis du Louvre pour faire baisser les prix ou faire pression lors d’achats pour sa propre collection, arguant que les œuvres finiraient au Louvre. Comme lors de l’achat d’une œuvre de Claude Gelée, dit Le Lorrain, chez Dorotheum à Vienne en avril 2023. Mais elle serait selon lui destiné au Louvre. « J’ai fait un testament dans ce sens-là », assure-t-il.
Autre cas plus récent : l’entrée dans les collections du Louvre de Marine Terrace, lavis de Victor Hugo, officialisé cet automne par le musée. Louis-Antoine Prat espérait que le marchand Hubert Duchemin le lui propose à titre personnel, mais celui-ci est allé chercher le collectionneur Pierre Morin.
Dans un courriel adressé à Louis-Antoine Prat le 11 décembre avec en copie la présidente du Louvre et dont nous avons pu prendre connaissance, le marchand lui écrit : « J’ai donc eu la liberté de chercher le client qui, dans l’intérêt de la famille, paierait le plus cher, le plus vite, sans condition, tout en respectant l’œuvre. Vous attendiez cette feuille car vous saviez que j’étais en relation étroite avec [la vendeuse], mais vous l’espériez à bon compte. En effet, depuis environ vingt ans, les prix des chefs-d’œuvre dessinés qui se vendent aux enchères flambent, et, partant, vous mettent hors-jeu pour accroître votre collection. En revanche, cultiver des relations avec des marchands, des collectionneurs, des courtiers, pour vous voir proposer des feuilles en privé est le seul moyen pour vous (à l’exception de quelques feuilles mineures) d’enrichir votre remarquable ensemble ».
« C’est une horrible cabale, nous confie Louis-Antoine Prat. Je n’ai fait qu’exercer les privilèges de la fiction [dans son livre, ndlr]. Quant aux œuvres que j’ai acquises, je n’ai pas d’héritiers. J’ai donné [aux musées] en 1995 sous réserve d’usufruit des œuvres d’une valeur d’assurance de 3 millions d’euros. Pour la suite, voyez mon avocat, Antoine Tchekhoff [membre du conseil d'administration des Amis du Louvre, ndlr] ».
« Vomir ce monde-là en gardant son poste de président des Amis du Louvre est juste inadmissible, juge Étienne Bréton. Pierre Rosenberg m’a récemment dit trois fois qu’il devrait démissionner ». Et l’ancien conservateur Jean-Pierre Cuzin de nous confier : « Je suis horrifié par tout ça. Le plus grave, c’est la réputation du Louvre ».
Droit de réponse
« Réponse de Monsieur Louis-Antoine Prat à l’article intitulé « Polémique autour du président des Amis du Louvre »
Cet article appelle de ma part les observations suivantes :
En premier lieu, Nicky Schwarz, que je dépeins dans ma nouvelle « Les Allées du Salon », est un personnage de fiction, ainsi que je l’ai rappelé en préambule de l’ouvrage.
Nicky Schwarz n’est pas Nicolas Schwed dont je ne connaissais que très peu de choses et notamment pas la religion. Je ne m’explique pas, et déplore, qu’il ait pu se reconnaître sous les traits de mon personnage de fiction.
En deuxième lieu, mes personnages de fiction n’ont pas de religion, et ne sont nullement décrits à raison d’une origine ou appartenance religieuse, ni d’une orientation sexuelle. Aucune des descriptions dévalorisantes des personnages de fiction de ma nouvelle ne font référence aux stéréotypes antisémites ou homophobes que j’exècre.
En effet, l’antisémitisme, et toute autre forme de racisme et de discrimination, me sont totalement étrangers et aux antipodes de mes convictions humanistes.
J’invite les lecteurs de Art Newspaper à prendre connaissance notamment de la chronique que j’ai publiée dans la revue Commentaire de l’hiver 2012 dans laquelle je décris l’horreur de la Shoah, que je qualifie de « mal absolu », et la répugnance qu’elle m’inspire.
Tous ceux qui me connaissent ou m’ont lu savent à quel point je désapprouve toute forme d’antisémitisme, de racisme et d’homophobie. Vous êtes nombreux à en avoir témoigné et à m’avoir apporté votre soutien.
Les accusations d’antisémitisme et d’homophobie qui me sont portées, et que je réfute avec la plus grande force, m’ont profondément blessé.
En troisième lieu, je n’ai jamais profité de ma position de Président de la Société des Amis du Louvre pour faire baisser les prix et enrichir ma collection.
Cette fonction ne m’a nullement permis d’acquérir l’œuvre de Claude Gellée, dit « Le Lorrain ».
Par ailleurs, je démens en tous points les allégations de Monsieur Duchemin contenues dans son courriel du 11 décembre 2023 dont les termes sont reproduits dans l’article.
En quatrième et dernier lieu, mon engagement au service de l’art l’a toujours été dans l’intérêt des musées nationaux.
À cet égard, je confirme que, outre les dons que mon épouse et moi-même avons consentis au musée du Louvre, la collection de dessins que nous avons réunie et que nous continuerons d’enrichir sera léguée après notre décès, selon testament déposé, aux musées du Louvre et d’Orsay. »