L’idée a germé en 2018 lorsque Salma Lahlou, la fondatrice de la plateforme ThinkArt basée à Casablanca, rencontre à Berlin Krist Gruijthuijsen, le directeur du KW Institute for Contemporary Art, à la suite de l’exposition collective « In the Carpet » présentée à l’ifa-Gallery Berlin en 2017. Coorganisée par Mouna Mekouar, Alya Sebti et Salma Lahlou, cette exposition s’appuyait sur les travaux de Sheila Hicks et ses collaborations avec des tisseuses marocaines. Fasciné par l’énergie casablancaise, Krist Gruijthuijsen propose à Salma Lahlou d’interroger l’héritage de l’École de Casablanca et de réfléchir aux liens pouvant être établis avec l’expérience du Bauhaus en Allemagne.
Au ZKM (Zentrum für Kunst und Medien), le centre d’art et de technologie des médias de Karlsruhe, Salma Lahlou participe en 2019 à l’exposition itinérante « The Whole World a Bauhaus », identifiant une volonté commune au Bauhaus et aux professeurs ayant entouré Farid Belkahia de décloisonner les pratiques artistiques et de renouveler les enseignements. « C’est un héritage que les artistes de l’École des beaux-arts de Casablanca ont conscientisé, explique Salma Lahlou. Ils voulaient sortir du modèle académique français et expérimenter un modèle alternatif. » Raison pour laquelle s’est répandu au sein des Beaux-Arts, dans ces années postindépendance au Maroc, le modèle de l’atelier et se sont développées des collaborations entre étudiants et professeurs, « la dimension artisanale de la formation» ainsi que «l’importance de disposer d’une production théorique ».
Salma Lahlou convie trois autres commissaires à mettre en place un projet de résidences artistiques et de recherches afin de documenter, à partir de nombreuses archives privées, l’aventure collective du groupe de Casablanca et de réfléchir à leurs échos contemporains. Hoor Al Qasimi, la directrice de la Sharjah Art Foundation, Alya Sebti et Inka Gressel, codirectrices de l’ifa-Gallery Berlin, rejoignent ainsi l’équipe.
MODERNITÉS PLURIELLES
Les artistes et commissaires d’exposition – parmi lesquels se trouvent le designer Manuel Raeder, l’artiste Céline Condorelli, le duo d’artistes Bik Van der Pol ou encore la commissaire Fatima-Zahra Lakrissa – sont invités à s’interroger sur les axes suivants : l’inscription de l’art dans l’espace public, la dimension pédagogique de la formation et la contestation des hiérarchies entre art, design, artisanat et architecture. En juin 2021, le chercheur indépendant Abdeslam Ziou Ziou a par exemple proposé un programme de recherche autour d’une expérience inédite de collaboration entre psychiatres et artistes de l’École de Casablanca ayant eu lieu en 1981. Intitulé « Berrechid 1981. Retour sur une expérience collective à la lisière de l’art et de la psychiatrie », ce programme revenait sur la réalisation, par des artistes tels que Mohamed Melehi, Mohamed Chabâa ou Malika Agueznay, de fresques murales à l’intérieur même de l’établissement psychiatrique.
« L’idée était alors de changer l’institution de l’intérieur, explique le chercheur. Les artistes étaient là pour appuyer ce mouvement dans la lignée de l’antipsychiatrie, d’ouvrir les portes de l’hôpital sur la ville et concrètement de rendre les espaces plus beaux. » Cette expérience inédite sera de courte durée, et les fresques seront toutes effacées. « Au-delà de l’aspect historique, précise Abdeslam Ziou Ziou, ce qui m’intéresse dans ce projet, c’est cette énergie d’un mouvement empêché. Mon but aujourd’hui est de créer un espace de transmission pour rappeler cette volonté qu’il y avait alors de changer des logiques d’enfermement en des espaces ouverts. » De son côté, Fatima-Zahra Lakrissa a convié l’artiste sonore Gilles Aubry à réfléchir à une installation autour de la revue Maghreb Art. Dirigée par l’anthropologue Bert Flint et les membres de l’École de Casablanca, cette revue, qui n’a connu que trois numéros, a été l’objet de controverses sur lesquelles la commissaire entend revenir.
De ces résidences, Salma Lahlou retient surtout l’idée que « les années 1960 au Maroc ont façonné la culture contemporaine. Le projet qui était au départ unifocal est devenu multifocal et cherche à examiner les divers foyers de stimulation et de mobilisation culturelle qui ont essaimé alors à Casablanca, incluant aussi bien les arts visuels que le théâtre, la musique ou le cinéma ». La manifestation « School of Casablanca » qui se tient jusqu’au mois de janvier 2024 est l’aboutissement de ces différents temps de recherche et de résidences. Elle proposera des projections hebdomadaires de films, des cycles de conférences, des sessions d’écoute ou de marche et toute une série d’expositions confrontant des archives privées à des réponses contemporaines emmenées par les artistes Nassim Azarzar, Fatine Arafati ou Sofiane Biyari, convaincus que la modernité reste toujours à conquérir !
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« School of Casablanca », 11 novembre 2023-14 janvier 2024, divers lieux, Casablanca. 15 février-14 avril 2024, ifa-Gallery, Linienstraße 139-140, 10115 Berlin, Allemagne.