Anna Weyant : The Guitar Man
L'exposition « The Guitar Man » d'Anna Weyant est construite autour d’un tableau représentant une maison de poupée, maison victorienne en bois inspirée de celle de Norman Bates dans Psychose [d’Alfred Hitchcock]. Cette image qui parle à tous donne un ton de jeu et d’intrigue, et s’accorde parfaitement avec l’espace relativement étroit de la galerie et son escalier en bois qui nous accueille.
Depuis la rue, le regard est accroché par le dos d’une solide beauté nue en slip transparent donnant chacune de ses mains à une sœur, un double aux deux tiers caché. Véritable moquerie à l’égard de l’amateur, quel qu’il soit, l’œuvre a pour titre The Return of the Girls Next Door, qui sonne comme un film ou un très ironique manifeste. À côté de ce tableau, une nature morte : des fleurs en papier ultra-plates dans un vase en argent posé sur un rebord de fenêtre (celle de la maison de poupée ?) où se reflète la peintre. This is a Life ?, titre et lettrage empruntés à un film des Looney Tunes, flotte au-dessus de la composition et interroge le genre de la vanitas. C’est le spectacle pour bambins qui bascule dans le mélodrame.
Le noir qui fait le fond de tous les tableaux d’Anna Weyant confère à ceux-ci un caractère dramatique et un aspect musée ancien que démentent les références à l’illustration populaire et au cinéma. On ne s’étonne pas de voir une beauté de cartoon interroger son miroir, ou une jeune femme ceinte d’un drap blanc rouler des yeux à la lueur d’une bougie. Jeu brillant et drôle sur les ressorts de la fascination et les archétypes de la toile et de l’écran qui multiplie les mises en abyme. Qui est l’homme à la guitare ?
Du 18 octobre au 22 décembre 2023, Gagosian, 9 rue de Castiglione, 75001 Paris
Maude Maris
Maude Maris a peint une nouvelle série de tableaux dans lesquels figure(nt) un animal ou des animaux. Plus qu’un nouveau thème, cela ressemble à une nouvelle direction tant elle varie les styles. Peindre l’animal comme une façon de s’en approcher et de définir un type de relation autre au modèle.
Prenons cet hippocampe et ce crocodilien qui se font face sur une surface entre eau et ciel. Le crocodilien tient encore en partie de l’esquisse, il est encore attaché au geste de l’artiste au moment où il fait surface. Dans un autre tableau, on voit une fenêtre, c’est-à-dire un carré clair dans des tons de vert et de bleu tracé sur un fond d’intérieur-nuit en brun et noir. Dans ce carré, le dos d’un chat fait face au ciel où volent des taches noires. Au premier plan, dans la maison, un barbouillage dans lequel on devine plus qu’on ne voit une présence humaine. L’artiste se rapproche et s’efface dans un même mouvement et érige ce chat Friedrich en sujet pour partager sa contemplation.
Ailleurs, c’est une chauve-souris suspendue comme naturellement à la toile, ailleurs encore un escargot qui part en oblique et, accompagné d’un trait vif et lumineux, semble saisi dans sa course. Chaque tableau s’impose comme un acte d’exploration et de découverte.
Du 18 novembre 2023 au 6 janvier 2024, Praz-Delavallade, 5, rue des Haudriettes, 75003 Paris
Judith Blum Reddy : Everything Is Not Ok
New-yorkaise, ayant vécu à Paris au début des années 1970, puis longtemps en Inde, Judith Blum Reddy a le goût des listes, des citations et des slogans. Chez elle, la poésie visuelle croise la recension d’événements grands ou petits, l’organisation des sociétés occidentales ou indiennes en secteurs et domaines de compétence, sur des feuilles, des tableaux ou de grandes bâches faites de bandes d’images ou de textes cousues à la façon d’une interminable bande sortie du téléscripteur.
L’exposition débute par une série de tracts et de pages de journaux de Mai 68 à Paris garantis d’époque. Mais l’esprit 68 souffle aussi sur les bâches et collages d’aujourd’hui. À sa façon, Judith Blum Reddy dresse un état du monde enrichi de dialogues et de réflexions. Textes, dessins, pictogrammes offrent un précieux document pour les jeunes générations et celles à venir sur une civilisation mal en point mais où se révolter a encore un sens.
En parallèle à ces proclamations enflammées ou ironiques, quelques tableaux égrènent par ordre alphabétique les noms des grandes gares de chemin de fer européennes. On peut y voir un éloge du déplacement en même temps qu’une façon d’effleurer l’histoire du XXe siècle et de ses conflits.
Du 28 octobre 2023 au 13 janvier 2024, Galerie Éric Mouchet, 45, rue Jacob, 75006 Paris
Daniel Jacoby : 315
Daniel Jacoby est né un 31 mai, en 1985, à Lima. C’est aussi un 31 mai que sont nés Clint Eastwood ou Rainer Werner Fassbinder ou qu’est morte Louise Bourgeois. Le 31.5.1989 à Aucayacu, au Pérou, des membres du Sentier Lumineux, mouvement révolutionnaire marxiste, font irruption dans un club, en extraient une dizaine d’homosexuels et de travailleuses du sexe et les exécutent par balle. Cet acte majeur de terreur homophobe et misogyne, conforme au programme de ces révolutionnaires, Jacoby n’en a pris connaissance que relativement tard dans sa vie, mais il y occupe aujourd’hui une place fondamentale et ne cesse de le hanter.
Son nouveau film 315 est fait d’images d’archives familiales, de brefs extraits de films et de photos recadrées en rapport plus ou moins direct avec un 31 mai.
Entre des événements et des figures hypermédiatisés et un épisode historique longtemps tu, Jacoby construit une narration fragile sur les façons dont l’histoire nous occupe.
Ce jour particulier lui permet d’évoquer le Titanic ou les essais nucléaires sur l’atoll de Bikini, mais aussi le premier match de football télévisé en couleur ou le record du 100 m d’Usain Bolt. Épisodes battus et rebattus et avec eux la carte Clint Eastwood avec lequel l’artiste dit s’être forgé une masculinité. Une très brève traversée du siècle dernier éclairée par la déflagration Aucayacu où se croisent l’intime et l’histoire collective.
Du 14 octobre au 9 décembre 2023, Ciaccia Levi, 34 rue de Turbigo, 75003 Paris