Le magazine ArtReview a dévoilé son classement 2023 des personnalités les plus influentes dans le monde de l’art. Le Power 100 est établi grâce à la contribution d'un panel de 40 acteurs du monde de l'art, qui prennent en compte l’influence globale des personnalités retenues. Sujet à débat – le collectif Ruangrupa, commissaire de la Documenta 15, en tête de la liste 2022, figure cette année à la 40e place malgré le scandale ayant entaché cette édition –, ce classement n’en constitue pas moins un rendez-vous attendu, une sorte de Who’s Who de l’art.
Ce millésime place sur la première marche du podium Nan Goldin. La photographe américaine aujourd’hui âgée de 70 ans, rendue célèbre par The Ballad of Sexual Dependency (1979-1986) – un diaporama puis un livre autobiographique, devenu un jalon dans l’histoire de la photographie contemporaine –, a milité ces dernières années aux côtés du collectif PAIN pour dénoncer la responsabilité de la famille Sackler, mécène de grands musées, dans la crise des opioïdes aux États-Unis. Un combat relaté dans le documentaire Toute la beauté et le sang versé de Laura Poitras.
À sa suite, le peloton de tête du classement distingue des artistes ayant mis, eux aussi, leur notoriété et leur œuvre au service d’une cause commune. Activistes le plus souvent assumés, leur objectif est de faire bouger les lignes, susciter un changement social, voire politique. Ce rôle critique de l’art, engagé dans la société, est partagé par Hito Steyerl, Rirkrit Tiravanija, Simone Leigh, Isaac Julien, Ibrahim Mahama, Theaster Gates, Steve McQueen, les Australiens Karrabing Film Collective, Cao Fei ou encore Sammy Baloji. Chacun à leur manière, ces créateurs s’inscrivent dans une volonté d’influer sur le monde en s’emparant de questions relatives à la justice sociale, au genre, à la défense et la reconnaissance des minorités, ou encore à l’environnement. De ce point de vue, le Power 100 rend compte de la réalité des pratiques contemporaines et acte le retour d’une certaine forme d’art engagé.
Coté marché, Larry Gagosian pointe à la 12e place, premier galeriste de cette liste. Iwan Wirth, Manuela Wirth & Marc Payot le suivent de près (14e place), talonnés par David Zwirner (19e), Marc Glimcher de la Pace Gallery (20e) et Emmanuel Perrotin (23e) – seul Français dans ce top 5 des méga-galeries internationales.
Parmi les figures institutionnelles, Adriano Pedrosa, directeur du MASP (Museu de Arte de São Paulo Assis Chateaubriand) et commissaire de la prochaine Biennale de Venise, apparaît à la 15e place. Figurent également Suhanya Raffel et Doryun Chong du M+ Museum de Hongkong (17e), Koyo Kouoh, directrice du Zeitz MOCAA - Museum of Contemporary Art Africa du Cap (21e), Eugene Tan, directeur du Singapore Art Museum (29e), Glenn D. Lowry, directeur du Museum of Modern Art de New York (42e). Les mécènes à la tête de fondations ne sont pas en reste : Maja Hoffman avec LUMA (28e), Patrizia Sandretto Re Rebaudengo (58e) ou Vincent Worms avec Kadist (67e).
Plusieurs penseurs et commissaires se placent dans les cinquante premiers : Anna L. Tsing (18e), Paul B. Preciado (22e), Byung-Chul Han (24e), Sara Ahmed (26e), Fred Moten (30e), Donna Haraway (31e), Saidiya Hartman (34e), Judith Butler (44e), Candice Hopkins (46e) et Hans Ulrich Obrist (49e).
À l’influence d'artistes et intellectuels s’ajoute le rôle déterminant des conservateurs dans l’organisation de grandes expositions et biennales, marqueurs du Zeitgeist. Miroirs de tendances mondiales, ces manifestations mettent aussi en lumière des identités régionales, longtemps restées à la marge.
Depuis sa première publication en 2002, l’évolution du Power 100 d'ArtReview suit l’émergence de ce que l’on a appelé le Sud global. Plus largement, la liste privilégie désormais une diversité révélatrice des changements à l’œuvre dans le monde de l’art. La concentration du marché avec la domination de méga-galeries et de méga-foires internationales (Noah Horowitz, directeur d’Art Basel, figure à la 51e place ; Ari Emanuel & Simon Fox, à la tête d’Endeavor et Frieze, à la 54e) est ainsi contrebalancée par la reconnaissance de nouveaux acteurs en Afrique, en Asie, en Amérique du Sud ou au Moyen-Orient.
Cette visibilité accrue témoigne d’un champ géographique élargi, allant de pair avec des problématiques qui vont bien au-delà de considérations strictement esthétiques. Artistes, penseurs et commissaires portent dans le débat public (via les institutions et le marché) des sujets qui infusent l’air du temps, du changement climatique aux récits coloniaux et post-coloniaux et leur relation au présent, des droits des peuples indigènes à l’impact des technologies émergentes sur l’avenir de l’humanité. Autant de préoccupations dont ce classement 2023, par définition imparfait et non exhaustif, se fait l’écho.