Philemona Williamson : The Borders of Innocence
Dans sa biographie artistique, Philemona Williamson, afro-américaine, mentionne onze années d’enfance passées au sein d’une riche famille grecque de New York qui employait ses parents. La vie de cette famille excentrique, faite de drames et d’intrigues, sont donnés comme une des sources du parti-pris narratif de son œuvre. Dans des tons jaune, azur et rose, et une grande luminosité, Williamson soulève le voile d’histoires dont les héros sont le plus souvent de jeunes adolescents. Les scènes sont comme saisies au vif, avec souvent des vues en plongée, des effets de raccourcis et des disparités d’échelles qui donnent de cet âge dit de l’innocence la vision d’un moment de métamorphose et d’indécision.
Dans des espaces partiellement ou pas délimités, les figures semblent souvent en état d’apesanteur et le non finito des mains ou des pieds (l’artiste peint directement sans dessin préalable) renforce l’apparence onirique des compositions. Jeux de plaisir, de contrainte ou les deux étroitement mêlés (deux jeunes filles blanches qui plongent la tête d’une jeune fille noire dans l’eau d’une piscine), nul ne peut dire ce qui vraiment a lieu. C’est comme si le souvenir du rêve ne parvenait pas à se fixer ou le désir à s’énoncer. À côté de ces images d’un trouble radieux, d’autres tableaux offrent des images teintées d’allégorie : jeune fille noire ceinte d’une bouée aux motifs africains (et en dessous une tranche de pastèque), jeune fille noire apeurée au-dessus d’une Maison Blanche qui, à la date de la composition, s’apprête à accueillir un dangereux locataire. Toute interprétation nous engage sérieusement.
Du 18 novembre au 30 décembre 2023, Semiose, 44 rue Quincampoix, 75004 Paris
The Art of Robert Cumming. Part 2 & Part 3
En trois parties et en deux lieux, il s’agit d’une sorte de rétrospective des œuvres de Robert Cumming (1943-2021). Celui-ci fut un éminent représentant de cette photographie conceptuelle apparue à la fin des années 1960, et plus spécifiquement de son versant californien. Travaillant presque exclusivement à la chambre, il mettait rigoureusement en scène chacune de ses photographies qu’il visualisait d’abord par un ou des dessin(s).
Sur un versant qualifié ici de performance, il se livrait à des parodies de l’académie de peinture, s’obligeant lui ou ses amis à tenir des baguettes, à se vêtir de corsets ou à s’encombrer d’élastiques pour matérialiser les lignes de construction du corps. Une célèbre photo le montre pliant son buste en arrière pour dessiner avec lui un arc de cercle de 67°, réponse tordue à Vitruve.
Cumming aimait faire découvrir le travail du studio, y compris parfois les trucages de l’illusionniste qu’il était. Dans une de ses images, par exemple, apparaît une minuscule chaise de verre en lévitation devant un rideau, sous des projecteurs, entourée de quelques plantes du désert. Il nous offre ainsi un sourire sur son travail, mais il rend également un sérieux hommage à l’art photographique. Un très grand format vertical d’un devant de camion montre qu’il s’y connaissait en point de vue frontal et en mythes états-uniens.
En plus des photographies est présentée 120 alternative, une belle installation de tracts répandus sur un sofa et d’autres empilés, dont le message est la plus parfaite des réflexions sur la dématérialisation de l’objet d’art.
Du 20 octobre 2023 au 13 janvier 2024,Jean-Kenta Gauthier Vaugirard, 4 rue de la Procession, 75015 Paris ; Du 3 novembre 2023 au 27 janvier 2024, Jean-Kenta Gauthier Odéon, 5 rue de l'Ancienne-Comédie, 75006 Paris
Wilfrid Almendra : Labor trouble
Wilfrid Almendra trouve une part de son inspiration dans les jardins ouvriers auxquels l’attache une histoire familiale. Nourries par la mémoire et par l’archive, ses œuvres visent moins à faire image qu’à nouer un lien par des façons de faire et une forme de morale de la construction. Recyclant et assemblant des objets et des matériaux de récupération (obtenus le plus souvent par troc, et cela compte aussi), il transpose l’esprit de ce bricolage horticole dans l’espace d’exposition en y ajoutant des jeux d’artifice. La fiction d’un travail en cours (vêtements de travail dispersés çà et là) s’offre comme une voie d’accès à cette histoire collective.
La pièce la plus imposante ici est une construction en acier et verre cathédrale reposant sur une plaque de roche, et qui forme une demi-cloison dans la galerie. Architecture et sculpture, ouverte sur un côté, elle définit un espace intermédiaire entre serre et espace de rangement. Quelques fleurs emprisonnées dans la partie basse du verre apportent un trait décoratif tandis que des figues mûres posées sur la pierre font une amorce d’histoire. Les figues sont en fonte d’aluminium peinte, tout comme les vêtements de travail déjà évoqués, ou des limaces bleu Klein qui rampent sur un mur. Par ces indices fictionnels, Almendra semble dialoguer avec Robert Gober, avec plus d’insistance sur le réalisme que sur l’étrangeté.
Du 19 octobre au 2 décembre 2023, Ceysson & Bénétière, 23 rue du Renard, 75004 Paris
Hassan Sharif : Uncertainty of Systems
Né en Iran, citoyen des Émirats arabes unis, ayant étudié à Londres, Hassan Sharif (1951-2016) est une figure phare de l’art conceptuel au Moyen-Orient. Son œuvre foisonnante embrasse le dessin, la performance, la peinture, l’installation, et même la caricature. Emblématiques sont ses Semi Systemset ses assemblages d’objets de récupération (capsules de bouteille ou boutons en plastique) qui moquent la société hyper-consommatrice de son pays d’adoption. Marqué par les constructions du moderniste Kenneth Martin et, peut-on croire, par Robert Filliou, il n’a cessé d’inventer des systèmes qu’il enrichissait d’erreurs.
Un exemple est fourni par Six Points Angular Lines- Part 6 (2013), succession de variations sur papier autour d’une ligne brisée accompagnée d’une de ces lignes (arbitrairement choisie) peinte sur toile. D’autres exemples de Semi Systems, et des assemblages d’objets, on en voit sur les murs et au sol, mais aussi sur deux grandes tables de travail, avec plateau intérieur. Effet de visite d’atelier où l’on trouverait des pièces en cours, d’autres en attente, d’autres à expédier ou réexpédiées. Comme si Sharif (un Beuys avec moins d’ego) avait choisi de nous faire partager idées et confidences.
On n’oubliera pas un tableau (Squares, 2013) composé d’une vingtaine de carrés qu’on pourrait dire expressifs puisque faits de gestes de peintre à la fois très libres et contraints par le format. Le carré et la grille des modernes pris comme motif à peindre en couleurs éclatantes avec une rigueur joyeuse.
Du 18 novembre au 19 décembre 2023, gb agency, 18 rue des Quatre Fils, 75003 Paris