Si les échanges avec d’autres continents se sont accélérés en Afrique avec l’arrivée des Portugais au XVe siècle, l’exposition « Africa & Byzantium » du Metropolitan Museum of Art de New York montre que des interactions avec d’autres régions ont existé depuis bien plus longtemps. Sur les côtes nord et nord-est de l’Afrique, la proximité de la Méditerranée, de la mer Rouge et de la mer d’Arabie a facilité les échanges de marchandises, d’idées, de croyances et de pratiques esthétiques.
Byzance, le vaste empire romain d’Orient qui avait pour capitale Constantinople (l’actuelle Istanbul), a régné sur une partie de l’Europe, de l’Asie et de l’Afrique du IVe au XVe siècle. Grâce à cet empire, ces régions aux cultures aujourd’hui distinctes ont partagé une histoire commune. La nouvelle exposition du Met rétablit ces liens.
L’exposition présente près de 200 objets médiévaux couvrant de larges géographies et temporalités. Le commissaire, Andrea Achi, a choisi d’aborder trois périodes cruciales de développement artistique : la culture byzantine du IVe au VIIe siècle ; l’essor du christianisme en Afrique entre le VIIIe et le XVIe siècle ; et l’art éthiopien et copte du XVIIe au XXe siècle.
L’étonnante mosaïque placée à l’entrée, qui se déploie également sur une bannière sur la façade extérieure du musée, constitue une transition visuelle entre les galeries grecques et romaines adjacentes et l’exposition temporaire proprement dite. Cette mosaïque tunisienne du IIe siècle, antérieure à l’ère byzantine, représente des hommes transportant des objets pour un festin, chacun étant vêtu différemment. Les hommes semblent sortir du cadre pour aller à la rencontre de personnes et de divinités helléniques habillées de la même manière que dans les sculptures, les vases et les mosaïques des salles grecques et romaines.
Une femme égyptienne vêtue d’un linceul coloré se tient à côté de divinités, rappelant à la fois l’importance du mécénat à Byzance et l’intégration de motifs gréco-romains au sein de symboles locaux. Un buste en bronze de petite taille représentant un enfant africain, datant du début de l’Égypte byzantine, confirme que des Africains noirs faisaient aussi partie de l’empire.
Des pièces en dialogue
La mosaïque tunisienne démontre les liens helléniques avec l’Afrique du Nord. Le textile égyptien témoigne des échanges culturels et temporels. L’enfant en bronze montre des influences helléniques et nubiennes.
La figuration domine les salles de l’exposition. Agrémentés de textes, de motifs géométriques, floraux et de poteries, les visages peints et sculptés d'« Africa & Byzantium » offrent des rapprochements fructueux. Des expressions de dévotion témoignent de la foi chrétienne. Les figures mythiques, allégoriques et religieuses sont rarement tournées vers le spectateur, mais dirigent leur regard vers le ciel ou vers d’autres individus.
La circulation des langues témoigne de l’interconnectivité des cultures. La Lettre aux supérieurs du monastère de Saint-Paul l’Anchorite, datant du VIIe siècle, est écrite en copte, la langue vernaculaire de l’Égypte à l’époque, tandis que le grec et l’arabe, en haut du long texte, en appellent à Dieu. Cet objet unique évoque les rives nord, sud et est de la Méditerranée, indiquant comment l’eau, plutôt que la terre, dessine les géographies des objets exposés. L’impressionnant éventail d’alphabets que l’on retrouve dans les nombreux manuscrits, portraits légendés, lettres, textes reliés, mosaïques textuelles, textiles sur lesquels figurent des inscriptions et autres objets ornés de textes de l’exposition témoignent d’une grande diversité.
Une poignée d’objets remarquables incarnent cette histoire interculturelle retracée par l’exposition. Le Psautier polyglotte égyptien (XIIe-XIVe siècle) présente six colonnes de texte serrées, reproduites selon des alphabets changeants. Un texte en éthiopien, en syriaque, en copte, en arabe ou en arménien est reproduit sur une page usée en face d’un dessin géométrique. Il montre l’importance de l’étude comparative et la familiarité des communautés monastiques avec plusieurs langues régionales. Le motif qui orne la page face au texte, composé de croix coptes, imite les traits ordonnés des lettres.
Des mosaïques issues de synagogues et des linteaux gravés en hébreu côtoient des feuillets du Coran. Les inscriptions sur les linteaux indiquent qu’ils ont été offerts par des personnes liées à la cour musulmane d’Égypte. Un fragment d’un poème d’amour écrit en copte et en grec montre la simultanéité des pratiques spirituelles. Une boîte en ivoire comporte à la fois des sculptures de la déesse égyptienne Isis et du dieu grec Dionysos.
Dans les dernières salles de l’exposition, les icônes chrétiennes éthiopiennes aux yeux écarquillés caractéristiques et drapées de tissus raffinés se distinguent des interprétations chrétiennes nubiennes et nord-africaines. Le Diptyque avec Saint Georges et la Vierge à l’Enfant (fin XVe-début XVIe siècle) reflète la popularisation du culte de la Vierge en Éthiopie par l’empereur Zara Yaqob.
Le caractère unique de l’Afrique
Si l’exposition montre la diffusion des motifs byzantins en Afrique du Nord et de l’Est d’une manière inattendue, elle met aussi clairement en lumière les particularismes africains. Dans la plupart des études occidentales, les œuvres éthiopiennes médiévales ont été considérées comme exceptionnelles en raison de leur africanité et de leur emploi des conventions méditerranéennes. Les artistes éthiopiens ont parfois été dénigrés pour leur caractère à la fois pas authentiquement africain et insuffisamment chrétien. L’exposition pourrait s’intituler plus justement « Byzantium & Africa » en raison de l’absence de ces considérations.
Le parcours présente dans sa dernière salle des œuvres contemporaines de Tsedaye Makonnen, un artiste américain d’origine éthiopienne, et de Theo Eshetu, un artiste britannique d’origine éthiopienne. Ces œuvres entendent présenter « les thèmes de la mémoire et de l’héritage présents dans l’exposition » selon un cartel présent dans la salle. Mais de quels mémoires et héritages s’agit-il ? Les œuvres contemporaines réinterprètent les textiles et les textes, les motifs et les lieux. Mais elles s’éloignent du reste de l’exposition en prenant fermement position sur le violent rejet des Éthiopiens par ceux qui se trouvent de l’autre côté de la Méditerranée et sur le transfert des artefacts culturels et religieux, tels que ceux que l’on peut voir tout au long de l’exposition. Tsedaye Makonnen et Theo Eshetu assument la responsabilité d’aborder les questions de l’exploitation coloniale et des pillages fréquents dans l’histoire de l’art et des musées.
Au final, l’exposition offre un rare aperçu de la domination et de l’influence de Byzance dans certaines parties du continent africain et une occasion de découvrir des œuvres exceptionnelles conservées dans des collections du monde entier – Égypte, Angleterre, France, Pologne, Tunisie – ainsi qu’en Amérique.
« Africa & Byzantium », jusqu’au 3 mars 2024, Metropolitan Museum of Art, New York. Commissaire : Andrea Achi