Stéphane Dafflon : Pastel Shadow
Les tableaux de Stéphane Dafflon sont d’une construction rigoureuse, fruits du calcul et d’une parfaite connaissance du spectre des couleurs. On y voit un jeu de bandes verticales et horizontales larges qui se croisent et qui par des variations de ton à l’intersection donnent l’impression de se recouvrir l’une l’autre. Plutôt qu’une construction solide de carrés de couleurs, on voit des bandes ininterrompues différemment éclairées en certains endroits. Tant par la présence d’un presque blanc, que par celle de quelques lignes plus fines (à moins que celles-ci ne définissent une zone moins ombrée), cela ressemble au balayage d’un écran lumineux.
La palette n’est pas toujours pastel mais évite les tons vifs : azur, turquoise, rose-brun, blanc cassé, émeraude. Ces trames colorées, on les rencontre plutôt dans les madras que dans la peinture dérivée du néoplasticisme.
Les colonnes à section carrée de l’espace d’exposition ont été peintes en bandes colorées selon un système voisin en préservant une large bande de blanc en haut et une très fine en bas. Ce procédé nie l’architecture et transforme les colonnes en supports dynamiques qui répondent et s’accordent aux tableaux. L’artiste offre là une double perspective : sur un héritage du purisme et de l’angle droit d’une part, et sur une expérience du quotidien façonné par des politiques de la couleur dans l’aménagement intérieur ou urbain. Cette « Pastel Shadow » porte et nous porte loin.
Du 5 novembre 2023 au 14 janvier 2024, Air de Paris, 43, rue de la Commune, 93230 Romainville
Ignasi Aballí : Structures simultanées
Ignasi Aballí fait de l’expérience de l’exposition l’un des principaux sujets et moteurs de son travail, dans la façon dont il la traduit ou la transcrit entre autant de transparence que de secret. Chez lui, le littéral n’exclut pas l’imaginaire.
Dans la première salle, chacun des murs est dans sa partie basse recouverte d’une large bande d’un blanc pur distinct dont le nom et la référence sont donnés en lettres noires : os, pierre, nuage… On tente de saisir les imperceptibles différences entre ces blancs tandis que leurs dénominations nous envahissent d’images. Sur les murs, on voit encadrées des pages de livres portant le numéro de chapitres qui commencent au verso. On voit aussi des combinaisons de mots en lettres de plomb inversées, des godets et, à des hauteurs diverses, des photographies noir et blanc de signalétiques de musées : des flèches signalant la suite d’une exposition. Condensés de mémoires pour l’artiste et espaces très largement ouverts pour l’imagination du spectateur.
Dans la deuxième salle, ces condensés de mémoire adoptent un mode pictural. À partir de quelques photos de presse montrant des scènes de musée, l’artiste a défini grâce à une fonction de Photoshop la couleur moyenne des images ramenée à un unique pixel. Cette sorte de gris-brun, il l’a reconstitué avec des pigments et a produit un ensemble de toiles monochromes au format agrandi des photos. Cette exposition de peinture s’accompagne d’un livret de légendes qui nous permettent d’avoir une pensée pour le Monet ou le Vinci derrière l’image et/ou dans le tableau.
Du 9 novembre 2023 au 13 janvier 2024, Galerie Martine Aboucaya, 5, rue Sainte Anastase, 75003 Paris
Modern Congo (1930-1960)
Rassemblant une cinquantaine d’œuvres, essentiellement sur papier, « Modern Congo » s’articule en deux parties. La première (1927-1932) correspond à la découverte et à la promotion de la jeune peinture congolaise par Georges Thiry, la seconde (1946-1954) à l’activité de l’Atelier du Hangar par Pierre Romain-Desfossés.
Encouragés dans leur vocation et dans leur liberté d’agir, mais sans doute aussi un peu orientés (surtout pour ce qui regarde la période Hangar), ces artistes ont peint essentiellement des scènes et des paysages de savane ou de villages. On n’invoquera pas une énième fois une histoire parallèle ou secrète, on a envie de retenir surtout les inventions formelles, les moyens mis en œuvre par ces artistes pour faire bouger les lignes d’un certain horizon d’attente. C’est, par exemple, chez Albert Lubaki ou Antoinette Lubaki, un principe de construction de l’aquarelle par un tracé cadre qui définit l’espace de la représentation mais peut aussi servir de repère spatial. Être à la fois hors et dans l’image. C’est, dans certaines des œuvres de Djilatendo, la façon de travailler la sérialité (damiers, écailles), le décoratif et de croiser l’image avec l’écriture. Dans l’une de ses aquarelles, on trouve par exemple appliqué un principe d’équivalence entre une bande décorative, un serpent et un cours d’eau, trois façons de prendre la mesure de la feuille de papier.
Enfin, Mwenze Kibwanga, avec son système de hachures, trouve le moyen de donner une autre image de l’Afrique, d’établir des correspondances entre l’humain et l’animal et d’électriser la surface picturale.
Du 14 octobre au 23 décembre 2023, Magnin-A, 118 boulevard Richard-Lenoir, 75011 Paris
Sur le Fil
« Sur le Fil », sous le commissariat de Sandrine Djerouet, et Hélène Meisel, est une belle réunion d’œuvres suspendues d’une douzaine d’artistes avec quelques jeux de renvois ou d’échos entre certaines d’entre elles. Avec, en exergue, une figurine étrusque, le point de départ est donné simultanément par Katinka Bock et Francisco Tropa : la première par une barre métallique pliée, avec d’un côté le poids de deux citrons et de l’autre celui d’un mètre couvert de tissu ; le second avec trois figures géométriques creuses et colorées que des moteurs font tourner comme des astres. Des questions d’équilibre et de mesure, à différentes échelles.
Au-delà des différences dans la manière dont chacun peut ou a pu avoir recours à la suspension (surprise de découvrir un mobile en bois léger de Miriam Cahn), celle-ci a certainement une force symbolique. Par elle, l’œuvre peut affirmer sa présence, se voir ailleurs dans l’espace ou le temps et croire suspendre avec elle certaines apories de l’avant-garde. Significative est à cet égard cette pièce de 1964 de William Anastasi, une poulie qui diffuse le bruit d’un de ses usages et qui semble répondre à une célébrissime œuvre de Robert Morris : une invitation à sortir de la boîte. Les rubans de textes disséminés par Zbyněk Baladrán entre images et pièces d’argile minent l’autorité de formules ou de slogans libertaires. Quant à Diego Bianchi, il semble avec ses feuilles de plastique végétal suspendues sur le fil à linge vouloir attirer l’ombre d’Eva Hesse dans son quotidien.
Du 5 novembre au 23 décembre 2023, Galerie Jocelyn Wolff, 43, rue de la Commune, 93230 Romainville