Rarement thématique de Biennale n’aura autant, le moment venu, collé avec son temps, le temps qu’il fait surtout. Prévue du 19 au 21 octobre, l’ouverture de la 3e Biennale du design de Porto, dont la thématique est « Ser Agua » [« Être eau »], a, en effet, dû déclarer forfait sur ordre de la Protection civile à cause d’une exceptionnelle tempête, et a reporté son inauguration d’une semaine. La manifestation se déploie désormais sur une petite dizaine de sites répartis non seulement dans Porto, mais également dans la ville voisine de Matosinhos. « L’eau est partout, elle façonne tout et la vie ne serait pas possible sans elle. En revanche, notre compréhension de l’eau est généralement superficielle et réductrice : nous la percevons avant tout comme une ressource, une surface liquide emprisonnée, séparée de la matière restante. Cela limite la façon dont nous nous y rapportons, estime Fernando Brizio, commissaire général de cette Biennale 2023. D’ici à 2030, la demande en eau pourrait dépasser de 40 % l’offre : comment la préserver ? Cette édition propose une plateforme de laboratoire transdisciplinaire dédiée à l’observation, la réflexion, la créativité et l’apprentissage. Apprendre de l’eau révèle le réseau complexe d’interdépendances qui nous relie à la planète dans son ensemble. »
À la Fondation Marques da Silva, à Porto, dans l’exposition « Algas Élétricas », le Français Samuel Tomatis présente son projet Alga, autour de la transformation des algues marines en différents matériaux, souples ou rigides. L’exceptionnel taux d’humidité, lors de la tempête, ayant endommagé les pièces, le designer montre, à la place, deux films, en diptyque, qui retracent le processus de transformation de cette biomasse. Plus solide, a contrario, est… la boîte de conserve de poisson. À la Galerie municipale de Matosinhos, l’exposition « Galice, processus et formes » met ainsi à l’honneur la production peu connue de cette région frontalière espagnole, et notamment le graphisme. Le stupéfiant travail stylisé pour Industrias Pesqueras de Federico Ribas, fameux illustrateur de la première moitié du XXe siècle, le dispute, par exemple, à cette commande du Washington Post reçue, en 2016, par le graphiste Alvaro Valiño : la création, outre des pictogrammes de la natation et du water-polo, de l’ensemble des disciplines olympiques.
Toujours à Matosinhos, mais cette fois, à la Casa do Design, l’exposition principale de cette Biennale 2023, intitulée « Petrichor, l’odeur de la pluie » et conçue par le commissaire général Fernando Brizio, décortique, à travers une vaste sélection de projets, l’élément liquide dans tous ses états et à tous les niveaux : sous l’eau, sur l’eau et même… à l’intérieur du corps humain. Les propositions virent de l’ultra-technique au poétique. Dans le premier registre, on trouve aussi bien une combinaison spatiale testée sous l’eau, près de Marseille, par l’astronaute français Jean-Francois Clervoy, qu’un splendide et effilé kayak (K1 Vanquish Cinco) en fibre de carbone ou la parka Fog-X, qui, associée à une appli détectant la moindre humidité dans l’air, permet, même dans le désert le plus aride, de produire pas moins de 10 litres d’eau potable par jour. Dans le second registre, se côtoient les recherches sur les plantes connectées de Harpreet Sareen – telle Argus, dont les feuilles munies de nanocapteurs surveille la quantité d’eau et détecte les métaux lourds dans l’air ambiant – et le travail d’Alice Borges (L’eau des autres), laquelle invente une merveilleuse gamme de couleurs avec les eaux qu’elle récupère de premières teintures, habituellement jetées.
À Porto, dans le Palacio dos Correios, l’exposition « Catharsis » réunit des designers et des artistes doublés d’activistes, chez lesquels le design est aussi un processus social. Ainsi, l’artiste anglaise Carolina Caycedo déplie en accordéon, tel un leporello, un beau livre d’artiste, The Serpent River Book, truffé d’images et de textes sur la diversité biculturelle de cette rivière universelle, à partir de travaux réalisés en Colombie, au Brésil et au Mexique. Dans une stupéfiante vidéo (Damned), le réalisateur indien Nandan Saxena raconte comment, en 2013, des habitants de l’État du Madhya Pradesh étaient restés 17 jours dans une rivière avec de l’eau jusqu’à mi-torse, pour manifester contre l’inondation de villages entiers causée par l’érection d’un barrage.
Toujours dans le même bâtiment, mais à un étage inférieur, la présentation « Ligações » (« Connexions ») du designer portugais Miguel Vieira Baptista consiste en une sélection d’objets, industriels ou manufacturés – un surf profilé, une cocotte-minute, un pneu et le travail sur les sculptures pour éviter l’aquaplaning… –, fatalement liés à l’eau et montrés selon un dispositif précis : un immense tirage photographique, une vidéo et l’objet lui-même. En fond, tourne en boucle un extrait du génial film de Frank Perry The Swimmer (Le Plongeon, 1968), l’histoire d’un homme qui rentre chez lui depuis une banlieue lointaine en nageant de piscine en piscine comme si elles étaient toutes connectées entre elles, telle une rivière…
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« 3e Biennale de Design de Porto », jusqu’au 3 décembre 2023, divers lieux, Porto, Portugal