Sun Yitian : Once Upon a Time
« Once Upon a Time », le titre de cette première exposition parisienne de Sun Yitian, est aussi celui de l’un des tableaux. Celui-ci montre une beauté de la Renaissance italienne pour ce qui est des traits et de la chevelure, mais dont les lèvres épaisses, la forêt « magritienne » en fond nous entraînent vers le surréalisme et l’univers de la mode. Plus troublant est le fait que l’épaule du modèle et ses yeux révèlent qu’il s’agit d’une poupée. En s’aventurant dans la peinture classique, en empruntant certains de ses thèmes à la mythologie, Sun Yitian enrichit et complexifie sa démarche. Medusa a des lèvres glossy, les serpents sont posés sur sa tête en un tas sans vie, et son regard vide se détourne du spectateur. C’est l’image de la terreur à la portée des bambins et c’est troublant.
Par le biais du jouet, la jeune peintre chinoise se joue des stéréotypes du désir masculin et des canons de la beauté, réveille Coppélia et avec elle l’inquiétante étrangeté freudienne. À cette thématique, elle ajoute des façons de faire surprenantes, dessinant les cheveux d’une de ses héroïnes en s’inspirant des Études sur l’eau de Ma Yuan (peintre du XIIIe siècle chinois) ou soulignant l’arrondi d’un sein par des traits de pinceau bien visibles. Au-delà d’un croisement des cultures très sophistiqué, Sun Yitian s’aventure en roue libre dans le travail du rêve.
Du 18 octobre au 24 novembre 2023, Esther Schipper, 16, place Vendôme, 75001 Paris
Elmar Trenkwalder
On a tout dit sur Elmar Trenkwalder, évoqué le facteur Cheval ou les temples indiens Chandela, mais on ne se lasse pas de le répéter, parce que son art, qui marie l’excès et la délicatesse, continue de bousculer les idées reçues sur la sculpture et sa prétendue masculinité. Nous accueille une prodigieuse colonne faite d’un empilement de cercles que surmonte une figure dansante encadrée de trompes avachies. Une autre de ces colonnes sort tout entière de la gueule d’une figure accroupie. Ces céramiques monumentales semblent le fruit d’une accumulation de gestes faussement négligents, de minces ajouts qui laissent voir l’empreinte de la main.
Les dessins insérés dans les cadres de céramique rappellent les compositions de Gustave Moreau, comme un reste d’effluves symbolistes. Chez Trenkwalder se rejoignent la fascination de l’art brut, la contestation de l’autorité, le désir d’Orient, l’aspiration à une transcendance et l’auto-ironie. L’expression des désirs, des manques et des insuffisances se fondent en une formule décorative qui donne à ces visions un surplus de réalité. On s’en voudrait de trop en dire.
Du 17 octobre au 16 décembre 2023, Galerie Bernard Jordan, 12, rue Guénégaud, 75006 Paris
Pierre Weiss : Hôtel Hybris
L’univers de Pierre Weiss est nourri de références à la domination par l’architecture et la planification. Il vise à en traduire le malaise plutôt qu’à en faire un objet d’analyse. Il est significatif que lorsqu’il cite quelques-unes des grilles de Mondrian, il leur superpose des plans de cités et fasse sur elles dégouliner du bleu à l’imprimante laser. La grille, élément moteur et libérateur de l’abstraction, devient modèle et image des sociétés de contrôle.
Cette référence plastique n’est qu’un des éléments du scénario que Weiss élabore avec les diverses pièces rassemblées dans l’exposition. Un scénario qui joue sur des différences d’échelle comme des différences de point de vue : une maquette d’architecture, tour posée au bord d’un piètement comme au-dessus du vide, un imperméable amidonné couleur mastic accroché à un cintre suspendu à un portemanteau, sur lequel est aussi projeté un territoire compressé.
Complétant ce scénario paranoïaque pour clients de l’Hôtel Hybris, on trouve des dessins sur surfaces métalliques de Panic Rooms, ces pièces secrètes que les très riches se font bâtir dans leur maison pour se mettre à l’abri en cas d’attaque. Pour ajouter à l’angoisse, le vernis qui les recouvre laisse paraître quelques gouttes de sueur. L’art ne saurait servir de refuge.
Du 14 octobre au 18 novembre 2023, Galerie Valeria Cetraro, 16, rue Caffarelli, 75003 Paris
Veit Stratmann : Texte/Image
Sous le sobre intitulé « Texte/Image », Veit Stratmann expose neuf sujets de recherche, le plus souvent accompagnés de projets, sous la forme de larges classeurs à consulter sur table. Les textes sont longs ou courts et représentent des années de travail. La consultation des dossiers nous fait pas mal voyager depuis un projet pour la ville d’Addis-Abeba (Éthiopie) qui engage une réflexion sur l’histoire et les représentations coloniales, jusqu’à un jardin d’agronomie tropicale dans le 12e arrondissement de Paris. Outre les questions posées par l’exemple d’Addis-Abeba (seule recherche concrétisée par une réalisation), on parle aussi de développement urbanistique suspendu (Alta de Lisboa, Lisbonne, Portugal), de ville fantôme (l’Aquila, Italie) mais aussi d’un stockage de déchets nucléaires dans l’Aube. Non-espaces, ville-musée ou en cours de muséification, vides impossibles à combler, autant de sujets que Veit Stratmann aborde à la façon d’un anthropologue et auxquels il s’efforce d’apporter une réponse artistique qui soit à la fois juste et éclairante.
Aux travaux de terrain s’ajoutent deux analyses, plan par plan, de deux vidéos visibles sur Internet. L’une est un film du ministère de la Justice consacré au travail dans les maisons d’arrêt, l’autre un film d’entreprise d’un fleuron du BTP. L’analyse s’affirme alors comme une vraie forme documentaire : épuisante, implacable et drôle aussi parfois.
Du 28 octobre au 25 novembre 2023, Galerie Philippe Valentin, 9, rue Saint-Gilles, 75003 Paris