À l’heure de « la criminalisation de l’intention artistique », l’historienne d’art Pauline Mari s’inspire du célèbre ouvrage de Margot et Rudolf Wittkower, Born Under Saturn. The Character and Conduct of Artists: A Documented History from Antiquity to the French Revolution*1, paru en 1963, qui pose deux questions d’une actualité bouillante : quelle place donner à la biographie de l’artiste dans l’histoire de l’art ? Et en quoi nous instruit-elle sur les œuvres ? Mais devant l’impossibilité, explique Pauline Mari, de mener une enquête comparable à celle des Wittkower sur les plasticiens du XXe siècle, elle s’est tournée vers la fiction. Alors a-t-elle traqué dans le cinéma européen et américain – des chefs-d’œuvre signés Michael Powell et Maurice Tourneur à la série B ou au giallo – les personnages d’artistes assassins ?
UNE TRAQUE PLURIDISCIPLINAIRE
Le livre se distingue par une approche pluridisciplinaire ainsi qu’une langue fluide et littéraire faisant souvent défaut à l’histoire de l’art telle qu’elle se pratique en France. Les films, rigoureusement sélectionnés et classés selon une typologie d’inspiration scientifique (« Diables d’artistes », « Peintres de l’agonie », « Serial esthètes » et « Saltimbanques »), permettent de découvrir, à travers le motif de l’artiste criminel, l’intérêt de nombreux cinéastes pour les avant-gardes (le surréalisme chez Alfred Hitchcock ou Georges Franju, l’Op Art chez Henri-Georges Clouzot, le Nouveau Réalisme chez Piero Schivazappa, etc.).
L’auteure plonge le lecteur dans l’histoire des tournages – dans le film d’Albert Lewin (Le Portrait de Dorian Gray, 1945), l'anecdote des peintres jumeaux engagés afin d’exécuter, l’un, le « gentil » portrait de Dorian Gray
(tableau finalement écarté), l’autre, le portrait corrompu, paraît presque trop belle pour être vraie !
Pauline Mari immerge aussi le lecteur dans la psychologie de ces artistes pervers, psychopathes ou simplement médiocres : « Ce recueil est un voyage à l’intérieur du cerveau des personnages, une promenade dans leurs labyrinthes mentaux. Je me suis autorisée à projeter des intuitions […], car pour moi le cinéma s’apparente à un bain primitif pour les œuvres, et permet de mieux les penser en retour. » En creux de L’Art assassin, enfin, s’esquissent les conditions de la diffusion dans la culture de masse des grands styles de la modernité artistique.
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*1 Les Enfants de Saturne. Psychologie et comportement des artistes de l’Antiquité à la Révolution française, Paris, Éditions Macula, 1985, traduction de Daniel Arasse.
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Pauline Mari, L’Art assassin. Histoires de crimes au cinéma, Aix-en Provence, Rouge profond, 2023, 273 pages, 26 euros.