Une image peut parfois en cacher une autre. Pendant quatre ans, entre 1978 et 1982, l’Américain Tom Wilkins a photographié sans relâche au Polaroïd sa télévision à chaque fois qu’une femme apparaissait à l’écran, en petite tenue ou pas. Banale marotte domestique d’un énième obsédé sexuel ? Vous n’y êtes pas. Comme le révèle un autoportrait de l’intéressé, cette fixation accompagnait le processus de féminisation de Tom Wilkins, désireux de capter l’essence même du « beau sexe ». Ces « TV Girls » présentées sur le stand de la galerie christian berst art brut, dans une très belle scénographie, sont l’un des clous de cette édition 2023 de Paris Photo. Rien d’étonnant à ce que, à 7 000 euros la planche, abordant les thématiques actuelles sur le genre, elles sont parties comme des petits pains depuis la preview J.P. Morgan de mardi soir.
Si, dans l’ensemble, le salon offre une allure globale plutôt classique, dans un contexte mondial guère réjouissant et incitant à la prudence, certains exposants se distinguent avec des propositions singulières. Chez Bigaignon, il faut aller également au-delà de l’image et ne pas se fier aux scènes évanescentes accrochées sur le stand. Passé par Le Fresnoy – Studio national des arts contemporains, Hideyuki Ishibashi dessine ses rêves au réveil, « avant de chercher des images des XIXe et XXe siècles pour les reconstruire à travers des collages », explique le galeriste. Cet étonnant travail a déjà séduit des acheteurs, notamment bruxellois, à l’ouverture ce 8 novembre, à des prix raisonnables de 1 750 euros l’édition de 5, et 7 000 euros l’œuvre unique. Il se murmure que la plus grande fortune française a déjà craqué auparavant pour l’artiste, sans passer par la galerie…
D’autres font parler le passé, en croisant féminisme et nouvelles technologies. Chez Red Lab Gallery (Milan), Silvia Bigi fait ressurgir le visage de sa grand-tante, déficiente mentale que sa famille avait cachée au reste du monde. Grâce à l’IA, l’artiste fait parler sa parente dans une vidéo, à partir d’un ancien portrait d’elle. Dans sa bouche, elle a mis les mots de femmes de lettres considérées comme sujettes aux désordres psychiques, à la dépression ou encore au bipolarisme, de Virginia Woolf à Marina Tsvetaeva. Comptez 950 euros le portrait ou 4 200 euros pour la vidéo. C’est l’un des points forts d’un nouveau secteur dédié au digital et dont l’objectif est clairement à la fois d’être au plus près des évolutions les plus récentes mais aussi d’élargir le public de la foire. Comme nous l’a expliqué Nicolas Fahey (galerie Fahey/Klein Gallery, Los Angeles), « une partie des collectionneurs disparaissent, il faut attirer de nouvelles générations plus tournées vers le digital ». Ainsi, il présente des poèmes « écrits par les photographies d’Allen Ginsberg » (sic !) grâce à l’IA et accompagnant ces mêmes photos. Avec la mode, le numérique et l’IA sont un levier pour séduire un nouveau public…
Gagosian, au milieu d’un accrochage dévolu à la nature morte, de Richard Avedon à Irving Penn, met en exergue un hologramme de Deana Lawson de 2020 immortalisant de vieux radiocassettes (à 50 000 dollars). « Beaucoup de grands collectionneurs internationaux de photo sont au rendez-vous, tout comme les musées », précise Édouard Pradère sur le stand. Dans l’ensemble, les Américains sont plus nombreux que l’an dernier.
Parmi les nombreux autres stands remarquables figurent celui autour du voyage de la galerie Sator, les grands autoportraits en pape de l’artiste Samuel Fosso chez Christophe Person, présentés pour la première fois sur une foire ; les photomontages d’Omar Victor Diop et Lee Shulman / The Anonymous Project chez Magnin-A en partenariat avec la Galerie Binome ; les travaux semi-abstraits de Constance Nouvel, montrée à la fois à la galerie In Situ-fabienne leclerc, de retour depuis 2019, et à quelques mètres sur celui du Prix Ruinart.
La photo ancienne n’a pas dit son dernier mot ! « Paris Photo est d’une énorme qualité tant en photo classique, du XIXe siècle que contemporaine ; le niveau global est extraordinaire. Ceux qui ne viennent pas à Paris Photo ne savent pas ce qu’ils ratent ! », confie la conseillère Simone Klein. Parmi ses stands préférés, « Thomas Zander de Cologne met en avant des femmes photographes européennes de 1930 qu’on ne voit jamais, uniquement du vintage, et à des prix accessibles. Edwynn Houk de New York a mélangé de façon éclectique la mode classique, de Man Ray à Blumenfeld, avec du contemporain, de haut niveau. Chez les galeries françaises, il y a beaucoup d’effort, comme chez Gilles Peyroulet & Cie dont le petit stand sobre ne contient que des tirages des années 1930, d’époque, très rares. Une sélection très pointue ! »
Paris Photo, 9-12 novembre 2023, Grand Palais Éphémère, 2, place Joffre, 75007 Paris.