Un ensemble musical qui évoque les flux météorologiques, une chorégraphie inspirée d’un algorithme Instagram et des performances se référant aux œuvres littéraires de Federico García Lorca et Marguerite Duras figurent parmi les commandes passées pour la Biennale Performa. Inaugurée le 1er novembre, la dixième édition la manifestation consacrée à la performance live interdisciplinaire présentera les œuvres de 40 artistes internationaux dans différents lieux de la ville de New York, en mettant l’accent sur des projets à forte dimension conceptuelle.
Comme par le passé, le thème de cette année prend l’histoire pour point de départ. Les précédentes éditions de Performa se sont concentrées sur des mouvements tels que le Futurisme italien, le surréalisme, la Renaissance et le Bauhaus. Cette fois-ci, Performa examine l’héritage de l’art conceptuel des années 1960 et 1970 – une période particulière pour la fondatrice de l’organisation, RoseLee Goldberg. « L’art conceptuel est l’un des domaines les plus difficiles à expliquer, avance-t-elle, et pourtant, il a été d’une importance capitale pour nous tous. Dans un sens, cette période – que j’appelle le "big bang" de l’art conceptuel – a vraiment tout changé dans notre façon de comprendre l’art, de faire de l’art, d’enseigner l’art [et] d’exposer l’art. »
Cette référence historique résonne avec une tendance qu’elle remarque de plus en plus chez les artistes qui travaillent « d’une manière délicate et conceptuelle, ajoute-t-elle. Qu’il s’agisse d’environnement, de politique, de race, de genre, les choses sont exprimées très discrètement. Beaucoup d’œuvres sont subtiles et d’une force tranquille. »
L’artiste français Julien Creuzet, par exemple, s’emparera de la Léman Ballroom avec une chorégraphie poétique explorant le déplacement et la diaspora, basée sur des gestes qu’il a repérés sur Instagram et qui ont été partagés par des utilisateurs d’origine africaine. Au Abrons Arts Center, le Canadien Marcel Dzama donnera vie au poème surréaliste de Federico García Lorca Voyage dans la lune [Viaje a la luna], avec de la musique en direct et des costumes fantaisistes.
Plusieurs artistes proposeront leurs toutes premières œuvres avec des interprètes en direct, notamment l’Américaine Nikita Gale, connue pour ses installations et sculptures tentaculaires qui examinent les répercussions sur les êtres humains des mouvements et des traces, ainsi que de l’absence et de la présence. Nikita Gale présentera pour la première fois une performance qui aborde les changements climatiques et la relation de l’homme au temps, à travers les notes coordonnées d’un orchestre en direct. Intitulée Other Seasons, elle met en scène l’ensemble Unsung Collective, basé à Harlem, qui joue la réinterprétation par Gale des Quatre Saisons de Vivaldi, et est le fruit de plusieurs années de recherche sur les différents aspects de la météo. « Je réfléchissais à la manière dont nous essayons de gérer les conditions météorologiques, explique l’artiste. C’est alors que j’ai commencé à m’intéresser à la saison en tant que structure utilisée non seulement pour essayer de contenir ou de comprendre les phénomènes météorologiques, mais aussi pour encadrer différents modes d’attention – cette façon d’organiser les médias, comme les séries télévisées, les programmes de streaming ou les pièces de théâtre. »
Dans la partition de Gale, la composition réarrangée de Vivaldi alterne moments de sons acoustiques et électroniques. L’environnement, espère-t-elle, exercera une charge psychologique en créant « des moments où l’on a presque l’impression de voyager dans le temps ». Other Seasons « n’est pas une œuvre à proprement parler sur le dérèglement climatique, précise-t-elle. Il s’agit d’une réflexion sur la manière dont les changements environnementaux modifient non seulement nos corps physiques, mais aussi ce à quoi nous prêtons attention, comment et où va cette attention. »
Dans l’auditorium Peter B. Lewis du musée Guggenheim, un projet plus calme de Haegue Yang sera centré sur la lecture par une seule actrice de La Maladie de la mort de Marguerite Duras, poursuivant ainsi le travail de longue date de l’artiste sur l’énigmatique roman de 1982. Présentée précédemment dans des lieux tels qu’une salle historique d’opéra cantonais à Hongkong et un cénote au Mexique, l’œuvre évolue à chaque représentation, Haegue Yang collaborant avec différents acteurs. Pour Performa, l’actrice Noma Dumezweni lira le texte de Marguerite Duras tandis que des images seront projetées au plafond de la salle circulaire – une forme qui, comme le souligne l’artiste, évoque le mouvement rotatif de nombre de ses sculptures « qui ne provoque pas de changement d’emplacement, mais démontre seulement l’intensité ». « Et cette pièce est exactement cela, dit-elle. Nous ne comprenons pas qu’après avoir passé 80 minutes dans le théâtre, nous serons renvoyés là où nous étions. Il ne s’agit pas vraiment d’un spectacle didactique, ni même d’un divertissement. Il s’agit de passer du temps ensemble, comme le personnage de l’histoire le suggère à l’autre protagoniste, de passer deux nuits ensemble. »
Outre six grandes commandes, Performa présentera son programme « Pavillon sans murs » [Pavilion Without Walls], qui existe depuis dix ans et est axé sur l’international, en mettant cette année l’accent sur les artistes finlandais. D’autres événements – d’un cours de cuisine sur la survie à une tragicomédie sur l’activisme sanitaire de Gregg Bordowitz et Pamela Sneed – se dérouleront dans l’espace Performa Hub de la biennale à Tribeca. Ce lieu est temporaire, mais RoseLee Goldberg l’envisage comme la préfiguration d’un éventuel espace permanent pour Performa, où les gens pourraient simplement faire du coworking, consulter les archives de la biennale ou se réunir pour discuter d’une performance qu’ils ont vue dans les environs.
« La plupart du temps, nous ne passons pas assez de temps en contact avec une œuvre, regrette RoseLee Goldberg. La performance est l’endroit où l’on peut se rassembler et se rapprocher des artistes et de leurs idées. Il s’agit là d’un engagement très profond : vous pouvez passer une heure devant l’œuvre d’un artiste et en ressortir pour engager une discussion à son sujet. »
Biennale Performa 2023, du 1er au 19 novembre, différents lieux, New York, États-Unis.