« Nouer les nuages » (abr-bandi en perse)… Alexandra Fain, la dynamique fondatrice de la Foire Asia Now, avait d’abord songé à cette jolie expression comme intitulé de l’édition 2023 consacrée à la création textile des pays d’Asie centrale. N’est-ce pas ainsi que l’on nomme les flamboyants ikats qui font depuis des siècles l’orgueil des peuples s’égrenant, tel un collier de jade, le long de la mythique Route de la soie ? D’autant plus que le mot « nuage » – cloud en anglais – évoque aussi, par un curieux hasard, le monde de l’informatique et ses connexions reliant, à des milliers de kilomètres, des hommes et des cultures de prime abord fort éloignés les uns des autres.
Peu importe si le terme a finalement été oublié, car la philosophie qui sous-tend la Foire Asia Now demeure la même : explorer de nouveaux territoires au sein de cet immense espace aux contours nébuleux que l’on nomme « Asie ». Cette année, Alexandra Fain a donc décidé de confier le commissariat à Slavs and Tatars, un collectif d’artistes basés à Berlin, mais originaires d’Asie centrale.
UNE YOURTE AU CŒUR DE LA MONNAIE DE PARIS
« Il nous semblait intéressant de dévoiler les pratiques artistiques de ces zones à la périphérie des grands centres de pouvoir, d’explorer cet entre-deux qu’est par définition l’Eurasie », souligne Alexandra Fain. Transcendant les catégories entre art et artisanat encore si chères au monde occidental, l’édition 2023 d’Asia Now entend démontrer combien la pratique vernaculaire du tissage des ikats a su s’adapter aux enjeux de la création contemporaine en se réinventant sans cesse. Sélectionnés par Slavs and Tatars, quatorze artistes – dont douze femmes – originaires du Kazakhstan, d’Ouzbékistan et d’Afghanistan présentent leurs créations sous les lambris et les ors de la Monnaie de Paris. « J’apprécie tout particulièrement l’idée que ce savoir-faire ancestral, encore essentiellement féminin, soit à l’honneur dans ce lieu hautement symbolique où l’on met encore en avant le geste de la main », se réjouit la directrice de la Foire.
Dans un télescopage visuel aussi poétique qu’insolite, la cour d’honneur accueille un chaikhaneh (« salon de thé ») en forme de yourte, conçu pour l’occasion par les artistes invités. Le public est convié à prendre place sur des lits de repos pour assister à des lectures ou des conversations orchestrées par Slavs and Tatars. Une forme de convivialité qui rappelle, à bien des égards, la pratique du banquet philosophique chère à Aristote et Platon !
D’AUTRES ÉCHAPPÉES GÉOGRAPHIQUES ET ARTISTIQUES
Mais aussi riche et éclectique soit-elle, l’Asie centrale n’est pas la seule invitée de cette prometteuse 9e édition d’Asia Now. Aux côtés des deux principales galeries d’art du Kazakhstan, Aspan Art Gallery à Almaty et Pygmalion Art Gallery à Antana, le public a tout loisir de déambuler de Téhéran à Séoul, de Pékin à Hong Kong, de Shanghai à Jakarta…
Parmi les autres points forts de cette édition : le grand retour du Japon. Ainsi, toutes deux installées à Tokyo, Maki Gallery et Gallery Common font une présentation croisée de deux artistes japonais majeurs : Anne Kagioka Rigoulet et Keisuke Tada. De son côté, Perrotin consacre à l’artiste Ob une exposition dont le commissaire n’est autre que Takashi Murakami.
La scène coréenne est, elle aussi, joliment représentée par six galeries venues de Séoul. La Française Anne-Laure Buffard montre quant à elle deux artistes coréennes, Park Chae Dalle et Park Chae Biole, dont le travail est confronté à celui de l’artiste franco-vietnamienne Nhu Xuan Hua. Enfin, la scène de Dubaï et des émirats témoigne d’un dynamisme notable avec la participation entre autres de Tabari Artspace, qui expose les œuvres de Maitha Abdalla. Les découvertes viendront aussi du côté de la Thaïlande et de l’Asie du Sud-Est, dont les artistes sont encore largement méconnus du public français.
Tisser des fils ou « nouer des nuages » sont décidément de bien belles expressions…
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Asia Now, Paris Asian Art Fair, 20-22 octobre 2023, Monnaie de Paris, 11, quai de Conti, 75006 Paris.