Loris Gréaud nous a habitués aux projets les plus fous. Il a par exemple installé en 2013, dans le Forum du Centre Pompidou, à Paris, un escalier hélicoïdal de 15 mètres de hauteur se terminant par un plongeoir d’où sautaient des cascadeurs toutes les cinq minutes.
En 2017, il a proposé The Unplayed Notes Factory sur l’île de Murano, dans le cadre de la Biennale de Venise, plongeant le visiteur dans une atmosphère démiurgique, enfumée et surchauffée. Adepte de la collaboration avec des scientifiques de haut vol, il échange depuis 2012 avec Michel André, professeur à l’université polytechnique de Catalogne (UPC) et directeur du laboratoire d’applications bioacoustiques (LAB).
Avec celui-ci, l’artiste a conçu The Snorks: a Concert for Creatures, un concert sous-marin à l’attention des créatures abyssales ! Ils ont depuis poursuivi leurs réflexions communes, notamment pour l’une des nouvelles œuvres que l’artiste dévoile dans son exposition décoiffante au Petit Palais, à Paris, cet automne. Pour cette installation sonore intitulée Moratorium, vingt haut-parleurs diffusent, avec l’assistance d’un logiciel, des sons provenant de cinq lieux répartis sur la planète, du pôle Nord au pôle Sud, des rives du fleuve Amazone à des sites sur les continents africain et asiatique.
Cette œuvre, installée dans le jardin de l’institution, fait partie du projet ambitieux que propose Loris Gréaud du 4 octobre 2023 au 14 janvier 2024, un ensemble tentaculaire, complexe, expérimental, visible également depuis l’extérieur du bâtiment. En effet, La Machine molle, reprenant le principe de la Dreamachine conçue par Brion Gysin avec William S. Burroughs et Ian Sommerville, embrase la rotonde du musée à la nuit
tombée, inondant les façades pour offrir aux visiteurs de passage sur l’avenue Winston-Churchill des rythmes hallucinatoires. L’un des poumons de cette proposition artistique qui se présente comme un foisonnant cortex se trouve dans le jardin, là où l’artiste a reconstitué un microclimat, un monde à part, pour que puisse se développer pendant les quatre mois de l’exposition un être unicellulaire, un blob. Ayant pour nom scientifique Physarum polycephalum, cet organisme doté d’intelligence, sans ossature, ni cerveau, ni système nerveux, est quasiment immortel – il se replie dans une chrysalide si les conditions de son développement ne sont plus réunies. « Lorsque le visiteur entre dans l’espace du jardin, il se peut qu’il se mette à neiger, à venter, qu’il y ait de la bruine, de la pluie, mais tous ces effets ne sont pas pour les êtres humains mais pour notre créature, et sont créés en fonction de ses besoins. Pour offrir ce microclimat, nous utilisons la technologie employée dans le cinéma. Tout est fait pour le blob », explique Loris Gréaud.
En déambulant au sein de cette exposition multipliant les surprises et les expérimentations, le visiteur pourra croiser un pangolin – qui a connu un pic de notoriété pour avoir été accusé d’être à l’origine de la pandémie de Covid-19 –, se laisser transporter par des sculptures olfactives ou des performances sonores. En effet, tous les soirs, la demi-heure précédant la fermeture du musée au public, des musiciens professionnels activent les œuvres de la série I—I Tacet. Ces pièces en plâtre et fibre de verre ont été conçues à partir des moules de reproduction et de restauration des Anges du dôme du Val de Grâce, sculptures ornementales du XVIIe siècle de Philippe de Buyster. Chacune comporte un instrument de musique à friction appelé « Euphone ». L’action des musiciens permet aux anges d’entrer en résonance entre eux et avec cet espace emblématique du Petit Palais. C’est là l’une des expositions les plus ambitieuses de l’artiste.
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« Loris Gréaud. Les nuits corticales »,4octobre 2023 14 janvier 2024, Petit Palais – Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, avenue Winston-Churchill, 75008 Paris.