Elle dresse ses parois grises de béton au milieu d’un chaos inextricable de personnes, de fumée, de voitures carbonisées. La barrière de séparation israélienne qui apparaît dans l’œuvre de Du Zhenjun The Tour of Babel, Ran (2011), présentée dans l’exposition « J’ai une famille » au musée national de l’Histoire de l’immigration, à Paris, nous renvoie directement aux effroyables massacres qui ont été perpétrés par le Hamas en Israël depuis samedi 7 octobre 2023. Ce tirage argentique montre aussi toute l’acuité des artistes face à la réalité contemporaine et à ses turbulences, dans un contexte global marqué par la mondialisation.
Les dix artistes chinois réunis par les commissaires Hou Hanru et Évelyne Jouanno (avec Isabelle Renard et Chloé Dupont) dans l’exposition précitée (du 10 octobre 2023 au 18 février 2024) témoignent de ce changement du monde, de ses hybridations, de leurs regards nouveaux induits au contact de la société française après avoir grandi en Asie. La majorité de ces plasticiens sont venus s’installer en France à partir des années 1980, lors de la période d’ouverture de l’empire du Milieu qui a succédé à la dureté de la Révolution culturelle de Mao Zedong. Certains sont venus en France pour participer à l’exposition séminale « Magiciens de la Terre » de Jean-Hubert Martin au Centre Pompidou et à la Grande Halle de la Villette, à l’exemple de Yang Jiechang ou Huang Yong Ping. Tous se sont inscrits peu à peu dans la scène française et ont ensuite bénéficié d’une reconnaissance internationale, de Yan Pei-Ming à Chen Zhen – les œuvres de ce dernier sont d’ailleurs mises à l’honneur actuellement par la Galleria Continua dans son espace de Paris, avant la foire Asia Now du 20 au 22 octobre 2023. Ce que montre cette exposition, dans un contexte d’exil, de migration, de déracinement et de globalisation, c’est la capacité qu’ont eue ces artistes à se réunir, à s’entraider pour former une « famille », un mot presque incongru dans un milieu souvent marqué par la compétition. « La notion de "famille" est rare dans le monde de l’art contemporain, abonde Évelyne Jouanno. Elle joue pourtant un rôle moteur dans son organisation et est à valoriser à l’heure de l’individualisme ».
Le riche parcours de l’exposition comprend notamment une pièce secrète, la toute dernière de Huang Yong Ping avant sa disparition, Chevalier du XXIe siècle empaillé (2019), œuvre forte traitant à la fois de l’exil et des conflits contemporains. Et qui, elle aussi, conserve toute son actualité.