Jean Paul Riopelle a partagé sa vie entre le Canada (il est né à Montréal en 1923) et la France où il arrive en 1947 et rencontre rapidement le succès. Il représente le Canada à la Biennale de Venise en 1962 et devient lauréat de l’un des trois prix de l’Unesco. Sa carrière internationale est lancée. Il entre en 1966 à la galerie d’Aimé Maeght, laquelle lui apporte un soutien indéfectible en programmant non seulement ses expositions personnelles, mais en lui offrant également des conditions de travail optimales. Il bénéficie des ateliers de céramique et de gravure de la Fondation Maeght, ainsi que de l’imprimerie Arte à Paris où il explore de nouveaux moyens d’impression : « J’ai pu [y] expérimenter des techniques auxquelles j’avais été fermé jusqu’alors », écrit-il.
L’artiste partage son temps entre sa dizaine d’ateliers en France, au Québec et à Bridgehampton (Long Island) aux États-Unis, où il produit ses sculptures. Il rentre définitivement au Canada en 1990 et y reste à l’œuvre jusqu’en 1992. Il décède dix ans plus tard.
LES TRIPTYQUES
Quelles que soient les facettes du travail de Jean Paul Riopelle que dévoile l’exposition, les triptyques y occupent une place essentielle et peuvent y être vus comme un fil rouge, tous supports et techniques confondus. Ces triptyques per-mettent surtout à l’artiste de tra-vailler sur des formats relativement moyens pour aboutir à des composi-tions de plus grande taille. Celles-ci démontrent, si besoin était, sa totale maîtrise des disciplines autant que sa soif d’expérimentations.
Il débute ce travail dès 1960 avec l’encre sur papier marouflé sur toile nommée Feu vert ou Water wonderful Land. Cela prendra plus d’ampleur dans les années 1970 avec deux huiles sur toile majeures qui rythment la première salle consacrée à son intérêt pour le monde nordique : Pangnirtung (1977) et De la grande baleine (1973). Son attrait pour la monumentalité et l’expérimentation l’a amené à s’attaquer à la tapisserie, comme le montrent le superbe carton Les Oiseaux – Jean Paul Riopelle a toujours été fasciné par les animaux, notamment les hiboux – et surtout le triptyque L’Arbre, Toto et la Dame de carreau (1962). L’arbre dont il est question fait référence à ceux en fleurs du jardin de l’atelier de Joan Mitchell à Vétheuil (Val-d’Oise), la peintre dont il a partagé la vie pendant vingt-cinq ans et dont le diptyque Champs (1990) clôture joliment le parcours.
Une salle est dédiée aux « jeux de ficelle » d’inspiration inuit, qui consistent à former des figures virtuelles et éphémères par de simples manipulations gestuelles. Il en résulte des compositions dans lesquelles des tracés noirs – des formes largement stylisées d’oiseaux – se superposent aux couleurs, comme dans le triptyque Tyuk (1971). Cet infatigable chercheur a ainsi décliné et multiplié les supports, qu’il s’agisse de toiles, de papiers, de tapisserie, de soie (les Paravents), de bronze (pour de surprenantes sculptures abstraites d’allure tellurique) et même de lave émaillée (deux polyptyques faits de cette matière accueillent le visiteur dans le patio).
Tout en ayant le goût des polyptyques, Jean Paul Riopelle a aussi travaillé sur de grands formats d’un seul tenant, et ce dès le milieu des années 1950, à l’exemple de Chevreuse (1954), sa toile la plus considérable jamais réalisée (301 × 391 cm). L’œuvre du peintre est d’une rare densité, marquée par une saturation que l’on pourrait qualifier de dynamique de la composition. Elle entre indubitablement dans le champ de l’abstraction, bien que certains motifs puissent être d’origine végétale ou animale. Aucun répit n’est laissé au regard, qui navigue parmi un foisonnement de couleurs et de matières, telle sa série de collages assemblés à partir de la récupération de chutes d’épreuves lithographiques en 1967 ; ils font songer aux œuvres du même type exécutées par Frank Stella dans les années 1980…
LE DÉCOR POUR MERCE CUNNINGHAM
L’adéquation de l’œuvre de Jean Paul Riopelle avec celle de ses contemporains se manifeste entre autres par les projets de décors qu’il a conçus pour les ballets de Merce Cunningham. Les croquis inédits trouvés dans ses carnets de dessin ont permis leur construction au sein de l’exposition. Cette scénographie, faite de rideaux d’arrière-scène ajourés en double ou triple, a servi de base en juillet 2023 au spectacle Passages du chorégraphe Noé Soulier.
Le lien avec Merce Cunningham est aussi familial, puisque la fille de l’artiste, Yseult Riopelle (commissaire de l’exposition), a fait partie de la troupe : « J’ai étudié et dansé pour la compagnie new-yorkaise entre 1965 et 1968. C’est pour cette raison que mon père avait imaginé des décors pour Merce et parce qu’il avait été témoin de son spectacle [Place] à la Fondation [Maeght] en 1966 ! »
Il est fait allusion ici aux légendaires Nuits de la Fondation Maeght que l’institution relance cette année, à la veille de son soixantième anniversaire, lequel sera également marqué par l’agrandissement de ses locaux.
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« Jean Paul Riopelle. Parfums d’ateliers », 1er juillet-12 novembre 2023, Fondation Maeght, 623, chemin des Gardettes, 06570 Saint-Paul-de-Vence.