Amadou Sanogo : Yebali Lakali (Raconter l’invisible)
Dans les tableaux d’Amadou Sanogo, apparaît généralement une figure centrale, en silhouette avec derrière elle un quadrilatère coloré, le plus souvent parsemé de points ou de motifs floraux. On pense à la pratique de la photo de studio en général et aux compositions de Seydou Keïta en particulier, même si l’artiste malien n’y pense pas lui-même. Les points lui viennent, dit-il, d’une technique d’impression qu’il employait comme gagne-pain pour décorer des vêtements, avant de se tourner vers la peinture. Chacun de ses tableaux s’appuie sur une opinion, une revendication souvent inspirée par un dicton de la tradition bambara.
C’est un plaisir très particulier que de découvrir l’exposition sur un mode naïf, libre d’interpréter comme on l’entend ce corps qui se douche de fleurs, cet autre qui cache son visage derrière des gants tandis que des yeux le regardent, d’imaginer on ne sait quoi derrière cette figure sous perfusion portant cravate et chaussures de boxe. Et puis, dans un deuxième temps, se saisir des notices et voir se mettre en place un système d’associations, de jeu avec les métaphores, et de découvrir aussi bien sûr le sujet Sanogo. Dans Ma parole, mon engagement, un fil blanc, qui relie la main et la bouche de son homo pictor, dessine une figure abstraite qui doit valoir pour toutes les pensées de l’artiste.
Quelques tableaux plus anciens laissent entrevoir une autre manière, plus directe, plus brutale, plus conforme à l’idée que l’on se fait d’une image politique. L’un d’eux visait à dénoncer la corruption des élites, un autre répondait seulement au désir de peindre un homme avec une fleur, sans aucun message. N’y voir ni paradoxe, ni contradiction. La réflexion de Sanogo est libre comme ses moyens.
Du 7 septembre au 7 octobre 2023, Magnin-A, 118 boulevard Richard-Lenoir, 75011 Paris
Jean-François Maurige : Tableaux 2021-23
Au début des années 1980, à une époque encore fortement marquée par la toile libre et le rejet de l’expression, Jean-François Maurige a défini une fois pour toutes son protocole de travail. Celui-ci lui donne une place tout à fait à part au sein de l’abstraction. Sur des coupons de tissu rouge du plus commun, il commence par appliquer un badigeon léger d’acrylique blanc qui sert d’apprêt et de fond.
L’opération s’effectue au sol, si bien que le tissu devenu toile se charge d’une coloration rose et d’un léger grain qui est la marque du sol. L’artiste trace ensuite avec une peinture à l’huile des figures arrondies en rouge, bleu ou violet. Ce sont les tableaux-formes faits de torsades tracées d’un geste large. S’y superposent ou se glissent par en dessous des quadrilatères pour former des colonnes sans volume. Rouge, violet, bleu sont les seules couleurs. À côté de ces tableaux-formes, il y a les tableaux-lignes, de minces bandes obliques qui se chevauchent, se croisent, s’interrompent en laissant quelques éclaboussures et qui frappent par leur vivacité. Traits impersonnels dans leur manière mais bien distincts dans leur aspect et comme en apesanteur. Une affaire de vitesse plus encore que de construction.
Maurige, en répétant des gestes, trouve à chaque fois une façon de manifester le tableau comme idée plutôt qu’idéal. L’accrochage, particulièrement dense, fait apparaître variations et différences dans ces toiles aux formats non conventionnels. Un rayonnement de la couleur en même temps que l’exposé d’un art et d’une méthode.
Du 14 septembre au 14 octobre 2023, Galerie Bernard Jordan, 12, rue Guénégaud, 75006 Paris
Ashley Hans Scheirl : L’or dans l’œil
Proches de ceux exposés dans son installation cosignée avec Jakob Lena Knebl à la dernière Biennale de Venise, les nouveaux tableaux d’Ashley Hans Scheirl brillent par leur caractère énigmatique et provocant. Sur de grands fonds bleu azur ou rose, flottent quelques fragments de corps, quelques objets, ou même un étron imposant. À côté de ces représentations photo-réalistes, des barbouillages de gris, des éclaboussures, comme si deux langages, deux façons de lier la peinture au corps et à l’inconscient se faisaient entendre ensemble.
Un œil emperruqué (sur fond de papier peint sixties) d’où s’écoule le jaune d’un œuf, et dans l’iris duquel se laisse voir une fenêtre, est associé à un vortex gris. Ailleurs, c’est une jambe portant collant jaune et bottine qui sort d’un autre vortex, ou le doigt coupé d’une créature mutante qui approche d’une goutte d’huile. Le rêve est ramené à quelques indices signifiants, à la manière d’un exposé. Sont convoqués la vue, l’ouïe, l’odorat, le toucher, le goût, comme une apologie des sens sur le mode du dérèglement.
Au-delà de la mécanique fantasmatique (on se rappelle que l’installation de Venise était placée sous l’égide de la Soft Machine de William S. Burroughs) mise en œuvre, la construction de l’exposition vise à un effet décoratif. La plupart des tableaux sont accrochés sur des murs peints en harmonie avec leurs fonds, deux d’entre eux sont portés par des tiges, placés au centre de l’espace à la manière de paravents. Ashley Hans Scheirl crée de nouveaux grotesques et, avec eux, définit un grand style, pour l’âge post-humain.
Du 15 septembre au 4 novembre 2023, Galerie Loevenbruck, 6, rue Jacques Callot, 75006 Paris
Armineh Negahdari : parfois un peu beaucoup
Révélée dans le Salon de Marcelle Alix il y a quelques mois, Armineh Negahdari présente sa première exposition dans l’espace principal de la galerie. Elle y montre principalement des dessins au graphite, fusain et crayon gras, mais aussi des sculptures, sortes de poupées (grandes ou petites) en tissu rembourré, qui leur répondent. Sur les dessins, on voit des figures, ou on les devine : quelques points font un visage, de grands volumes un peu informes suggèrent on ne sait quel vêtement futuriste ou archaïque. Un bras se lève qui peut-être aussi bien le salut de l’ami que celui du tribun. Des traits ou des maculations viennent parfois marquer une partie du corps et il nous faut décider si ceux-ci représentent quelque chose ou bien s’ils sont simplement l’expression de la liberté que l’artiste se donne de raturer ou de rehausser. Les titres, il est vrai, nous ouvrent des pistes.
Parce qu’Armineh Negahdari est d’origine iranienne, la tentation existe de charger ses œuvres d’un contenu protestataire. La vision qui se dégage de ces pièces est pourtant loin d’être univoque, et pas nécessairement sombre. Il y entre une grande part de fantaisie : corps-paysages, corps désirant aussi, peut-être même des références à l’animisme comme le suggèrent les documents de présentation. Difficile, en revanche, de ne pas imaginer que les sculptures qui composent Campement soient sans aucune résonance avec la façon dont on malmène les individus dans l’espace européen ou ailleurs.
Negahdari impose sa langue secrète, sa façon de dire, avec balbutiements, ratures et blancs ou silences.
Du 7 septembre au 7 octobre 2023, Marcelle Alix, 4, rue Jouye-Rouve, 75020 Paris