La scène se déroule dans la petite ville de Mänttä-Vilppula, située à une centaine de kilomètres au nord de Tampere. Là, dans ce qui s’apparente à un terrain vague, non loin de modestes immeubles, une dizaine de personnes empoignent des bêches pour creuser des trous dans la terre avant d’y planter un arbre. Cette initiative s’inscrit dans le cadre du concept Miniforest (« Miniforêt ») lancé par l’artiste Nina Backman, au sein de son projet A Million Trees to Finland (« Un million d’arbres pour la Finlande »). Chaque Miniforest entend préserver la biodiversité en favorisant le développement de la faune et en créant une continuité avec les forêts environnantes. L’objectif est aussi de lutter contre le changement climatique. Dans chaque Miniforest, le dioxyde de carbone présent dans l’atmosphère est capté par la végétation lors de la photosynthèse. Du carbone est émis lors de la décomposition de la matière organique (respiration du sol) et par les fonctions vitales de la végétation (respiration des plantes). Des mesures ont montré que la photosynthèse est supérieure aux émissions de dioxyde de carbone et que la Miniforest agit comme un capteur de dioxyde de carbone présent dans l’atmosphère. Les plus de 200 arbres et plantes du projet Miniforest stockent environ 48,1 tonnes de carbone par an, même si cette quantité peut varier d’une année à l’autre.
A Million Trees to Finland fait partie du travail en cours de Nina Backman intitulé The Silent Project, lequel comprend également l’organisation de dîners totalement silencieux – comme celui qui s’est tenu dans le restaurant Sofia Helsinki le 4 juillet 2023 –, invitant chaque participant à une introspection tout en exacerbant les plaisirs du palais. L’artiste finlandaise installée à Berlin entend ainsi montrer l’importance et l’impact du silence, de l’espace et de la nature dans la culture nordique. Elle aborde par ailleurs les questions d’identité et s’inspire en partie de la coutume finlandaise consistant à autoriser toute personne à errer sur le territoire, une pratique connue sous le nom de « droit de tout le monde », permettant à chacun d’accéder respectueusement à l’environnement naturel, y compris sur des terres privées. Les Miniforest s’inscrivent dans ce concept intimement lié à la culture finlandaise par sa relation étroite avec la nature, où le silence et l’espace sont omniprésents.
MÄNTTÄ-VILPPULA, VILLE DE CULTURE ET DE NATURE
La Miniforest de Mänttä-Vilppula a été spécialement commandée par cette ville qui s’est donné pour ambition de devenir une capitale de l’art. Ainsi, l’artiste Nina Backman a pu travailler en collaboration avec la jardinière en chef de la ville, Marianne Virkajärvi, et son équipe, avec l’aide de nombreux particuliers, bénévoles et sociétés, d’associations locales, d’artistes, de clubs sportifs, de familles, d’enfants de maternelle, de jeunes et d’organisations caritatives. Un tiers du financement a été apporté par vingt-six entreprises locales qui ont chacune parrainé des arbres dans le parc.
La cité doit son essor à Gustaf Adolf Serlachius, lequel y a fondé en 1868 une très importante papeterie. Si l’usine, après avoir été revendue, continue de fonctionner, elle a toutefois supprimé beaucoup d’emplois. Pour trouver un nouveau dynamisme, la ville s’est donc orientée vers l’art, aidée en cela par les Serlachius Museums qui disposent de plusieurs sites : l’ancien siège de la compagnie, mais aussi la maison de maître qu’habitait l’industriel. Là se déploient les œuvres d’art réunies par ce collectionneur et complétées depuis grâce à un solide budget d’acquisition, un ensemble très éclectique allant d’une huile sur panneau (vers 1400) de Rogier van der Weiden et d’un Saint Jean à la Croix (vers 1650) de Francisco de Zurbarán, à une Meule (1891) de Claude Monet, des peintures des Finlandais Akseli Gallen-Kallela (1865-1931) et Helene Schjerfbeck (1862-1946), mais également une grande toile d’Anselm Kiefer datant de 2018. Tout à côté, le musée s’est doté en 2014 du pavillon Gösta, un bâtiment en bois conçu par l’agence de Barcelone MX_SI architectural studio (Héctor Mendoza, Mara Partida et Boris Bežan). Actuellement, le lieu accueille entre autres l’exposition « HAZE » de l’artiste américaine Lorna Simpson (jusqu’au 8 octobre 2023). Autour a été aménagé un parc de sculptures, avec notamment une pièce de Bernar Venet ainsi que le bronze Magnificent Desolation (2013) de Matthew Day Jackson inspiré des Bourgeois de Calais d’Auguste Rodin, un prêt de l’artiste et de la galerie Hauser & Wirth. Ce qui fait la particularité du site est l’ouverture récente du premier Art Sauna dessiné par les mêmes architectes barcelonais. « Le nouvel espace Art Sauna est conçu comme une suite du parcours émotionnel dans l’ensemble du musée Serlachius. L’expérience des visiteurs du musée ne se limite pas à l’observation de l’art dans un espace ad hoc. Il s’agit plutôt d’une succession de moments au cours desquels le paysage, l’art et l’architecture se mélangent », déclarent-ils. Au Serlachius Museum, la question du développement durable est également au cœur des réflexions, même s’il est encore difficile de trouver des solutions concrètes. « Le musée consomme autant d’énergie que 250 maisons, constate Pauli Sivonen, directeur de l’institution. Il est un mauvais élève pour l’écologie ».
DE L’ART DANS ET POUR L’ENVIRONNEMENT
Afin justement de prendre la mesure de l’évolution du changement climatique a été installé, au cœur de la forêt finlandaise, entre Mänttä-Vilppula et Tampere, un lieu de recherche unique, la station forestière de Hyytiälä, qui dépend de l’université d’Helsinki. Ce centre de recherche international comprend de multiples instruments disséminés entre les arbres qui enregistrent en permanence des centaines de données telles que l’écophysiologie et la productivité des forêts, les bilans hydrologique et pédologique, la météorologie, les rayonnements solaire et terrestre, les flux, les concentrations ambiantes ou les aérosols atmosphériques. SMEARII (station de mesure des relations entre l’écosystème et l’atmosphère), aménagée en 1995, dispose aujourd’hui d’un mât de mesure de 128 mètres de haut, mais également de tours de mesure s’élançant au-dessus des frondaisons, qui ne sont pas sans rappeler des installations d’art contemporain. L’art est d’ailleurs présent avec l’accueil d’artistes en résidence. Des œuvres sont exposées sur place sous la houlette de la commissaire d’exposition Ulla Taipale, laquelle coordonne le programme artistique Climate Whirl à la station forestière de Hyytiälä.
L’Allemande Agnes Meyer-Brandis a disposé sa pièce Tealemetree Stations, une table échancrée, de manière à laisser passer un tronc d’arbre. Le duo d’artistes IC-98 (Visa Suonpää et Patrik Söderlund) a gravé des mots poétiques sur différents arbres du site. D’autres commandes sont en cours grâce à une subvention de 250 000 euros accordée par la Fondation Alfred Kordelin, basée à Helsinki.
C’est aussi au cœur des arbres et dans la nature que se déploie en partie la 2e Biennale d’Helsinki, qui a choisi pour principal site, outre le HAM (Helsinki Art Museum), l’île de Vallisaari, que l’on rejoint en bateau depuis le port de la capitale. Sur cet ancien territoire militaire, où ont été construites des fortifications et des casemates, l’historienne d’art Joasia Krysa, associée à cinq autres commissaires, a invité une trentaine d’artistes autour du thème « New Directions May Emerge » (jusqu’au 17 septembre 2023). La Biennale entend ainsi explorer, dans le cadre de la transition écologique, la manière dont nous pourrions trouver de nouvelles façons de vivre dans le monde et comment comprendre celui-ci. Adrián Villar Rojas peuple les arbres de ses sculptures, Tuula Närhinen crée une installation colorée à partir d’objets en plastique col-lectés sur les plages, Alma Heikkilä conçoit une sculpture modifiée en permanence par son environnement. En Finlande, les questions écologiques sont centrales.
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