Thu-Van Tran entraîne le visiteur dans un périple en trois étapes, l’amenant de l’aube au crépuscule en passant par le mitan. Elle incarne, avec ses installations, peintures, photographies, films et sculptures, différents ressentis à travers des récits entremêlés. Ceux-ci sont faits de souvenirs, de recherches sur le terrain, de dénonciations subtiles, d’évocations poignantes, de préoccupations écologiques, de rappels historiques ou encore d’éléments autobiographiques.
Rien de pesant cependant grâce au style singulier de sa démarche : aborder des sujets graves avec une vision poétique qui n’exclut pas une puissante force plastique. Pour cela, Thu-Van Tran utilise des supports variés, dont elle exploite le potentiel à son maximum, au point parfois de les dénaturer pour mieux les faire ressurgir. On pense à ses anciennes bâches délavées par le temps dissimulant des chantiers, ses graphites sur papier, ses tirages argentiques rehaussés d’adjonctions diverses ou encore ses films 16 mm. Thu-Van Tran possède cette capacité de travailler sur la déperdition des matières, à l’image des trois monumentales fresques pigmentées qu’elle a réalisées pour le musée d’Art moderne et d’Art contemporain de Nice (MAMAC). Celles-ci ouvrent magnifiquement le parcours, tout comme les peaux translucides en caoutchouc qui le clôturent. La matière est omniprésente dans son travail, comme si c’était elle qui définissait les images ou plutôt les évocations parfois dantesques que l’artiste suggère ou représente.
TRAVAIL DE MÉMOIRE
Intense et sensible à la fois, son œuvre dispose d’un rare pouvoir allégorique et offre plusieurs niveaux de lecture. À partir d’éléments naturels ou d’objets manufacturés qui pourraient paraître insignifiants, Thu-Van Tran revivifie et réactive la mémoire de son pays d’origine, le Vietnam, ce que seul la vision d’un ou d’une artiste est en mesure d’apporter en regard d’une réalité bien souvent oubliée ou effacée. Cela concerne autant la guerre menée par les Américains contre le Viet-Cong qu’auparavant la colonisation française en Indochine et ses conséquences – telle l’exploitation des forêts d’hévéa par la société Michelin pour ses besoins en caoutchouc. Cette matière naturelle est magnifiée par Thu-Van Tran qui lui octroie une réelle force picturale, en transparence, paradoxalement.
On ne peut manquer de rapprocher ce travail de celui de la jeune artiste Caroline Trucco présenté dans la galerie contemporaine. Bien qu’adoptant une démarche tout à fait différente, car non autobiographique, elle s’interroge également sur la mémoire coloniale d’un point de vue ethnographique et tente d’apporter des éléments de réponse à la question que se posèrent Alain Resnais et Chris Marker en 1953 dans le film Les statues meurent aussi : « Pourquoi l’art nègre se trouve-t-il au musée de l’Homme, alors que l’art grec ou égyptien se trouve au musée du Louvre ? »
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« Thu-Van Tran. Nous vivons dans l’éclat », 10 juin-1er octobre 2023, et « Caroline Trucco. Oui, mais des mots étendards »,29 avril-1er octobre 2023, MAMAC, place Yves-Klein, 06000 Nice.