Dans le paysage souvent conservateur du marché de l’art parisien, il détonnait avec ses tenues hautes en couleur, ses phrases franches et son audace à dépasser les lignes. En un mot, Pierre Cornette de Saint Cyr, disparu le 20 août 2023 à l’âge de 84 ans des suites d’une maladie neuronale, avait du panache. « C’était un confrère extrêmement agréable, toujours positif, je ne l’ai jamais entendu dire de mal d’un autre commissaire-priseur, ce qui est rare dans le milieu. Il avait incontestablement su créer un style autour de sa personnalité solaire. Il laissera un nom dans l’histoire des ventes publiques en France », confie Alexandre Giquello, président de l’Hôtel Drouot.
Né en 1939 à Meknès, au Maroc, où son père est établi comme chirurgien, il avait préféré l’art et la vie parisienne à son destin tout tracé : gérer les terres agricoles de sa famille, anoblie par Louis XIV pour ses exploits en Martinique. Il débute aux côtés des commissaires-priseurs Guy Loudmer et Hervé Poulain avant de fonder sa propre étude, en 1973, qui se distinguera rapidement, entre autres grâce à de nombreuses ventes caritatives ou à celle de l’hôtel Claridge. Très vite, il comprend aussi l’importance et l’utilité des médias, et fréquente régulièrement les plateaux de télévision et les studios des radios… Il officiera longtemps à Drouot et à Drouot Montaigne, puis, après la fermeture de ce lieu de ventes de prestige, au sein de ses propres salons, avenue Hoche, près des Champs-Élysées. Parmi les plus récentes grandes dispersions dont il s’était occupé figurent la succession de Kimiyo Foujita, veuve de l’artiste, ou la garde-robe griffée d’Hélène Rochas… Avant de disparaître, il avait eu le temps de vendre en 2022 sa maison familiale au groupe britannique Bonhams. Ses deux fils, Arnaud et Bertrand, restant l’un président de Bonhams Cornette de Saint Cyr et l’autre, directeur des inventaires.
« J’ai des rapports charnels et passionnels avec les œuvres comme avec les femmes », écrivait dans son autobiographie L’art c’est la vie (2004) ce grand séducteur, qui entretint notamment une histoire très médiatisée avec la chanteuse Marie Laforêt. Avec un flair certain, ses coups de cœur personnels accompagnent l’émergence de nouveaux marchés. Dès les années 1960, il s’intéresse aux dessins, aux côtés de son ami Alain Delon, qui lui offrira son premier marteau de commissaire-priseur. Une amitié précieuse qui lui permettra de disperser au fil du temps, toujours avec succès, les montres, les armes, les vins, les tableaux de la Seconde école de Paris ou encore, en juin dernier, les dessins, tableaux et sculptures de la star – son fils Arnaud avait tenu le marteau. Avec le temps, Pierre Cornette de Saint Cyr avait très bien saisi combien son métier avait de points communs avec celui des acteurs…
Après les dessins, la photo. En 1980, avec les galeristes Agathe Gaillard et Alain Paviot, il participe à la création du « Mois de la photographie », avant d’encourager activement la présence de la photo à la FIAC. Mais sa grande affaire reste sans doute l’art contemporain. Pour Arnaud Cornette de Saint Cyr, « il est l’un des premiers commissaires-priseurs français à avoir saisi les nouveaux enjeux de l’art contemporain mais aussi de la photo ou du design et à les promouvoir médiatiquement et dans ses ventes ». C’est le critique Pierre Restany, dont il restera très proche, qui l’initie aux Nouveaux Réalistes. Il n’aura de cesse de défendre l’art français face à la scène américaine, de nourrir des projets pour le représenter, dans l’Hexagone ou à l’étranger. Outre-Atlantique, il découvre au milieu des années 1980, à New York – où il séjourne souvent chez le sculpteur Bernar Venet –, Basquiat, Warhol et les minimalistes. Quand en 1994, après le pic de la crise, il doit vendre sa collection pour éponger les dettes de sa maison de ventes, c’est pour lui un crève-cœur de voir partir à prix presque cassés ses pièces signées Raymond Hains, Jacques Villeglé, Yves Klein, Ben… mais aussi Warhol, Nam June Paik, Carl Andre, Donald Judd, Sol LeWitt…
Cette passion pour la création actuelle l’accompagnera toute sa vie, au point d’être très impliqué dans le Salon de Montrouge, pépinière de jeunes talents, mais aussi au Palais de Tokyo, qu’il présidera de 2003 à 2012. « Il venait nous voir sans arrêt et emmenait ses amis, ses clients y déjeuner. Plus qu’un dandy, c’était un amoureux de la vie, qui adorait l’aventure de la vie et de l’art, la création contemporaine pour laquelle il s’est beaucoup engagé et battu », confie Jérôme Sans, cofondateur et ancien codirecteur du Palais de Tokyo. Et d’ajouter : « Il était sur tous les terrains, de tous les combats, toujours à nos côtés, souvent en première ligne, ne se camouflait pas. Il aimait que les choses aillent vite, aimait bousculer les lignes. C’était un boulimique de travail, de projets. Il a incarné une époque d’aventures culturelles alors que maintenant le monde de l’art se résume souvent à des aventures davantage d’ordre économique »… Dans son métier principal, « il a inventé un nouveau style de ventes aux enchères, moins techniques, plus humaines, menant un show pour la salle… Aujourd’hui, une nouvelle génération de commissaires-priseurs a suivi ce style ! », estime Jérôme Sans.
Pour le curateur, ce « prince d’une autre époque » était « un oxymoron, un classique contemporain, un chevalier du monde contemporain », résume-t-il. La courtoisie érigée « comme un art de vivre », écrivait Pierre Cornette de Saint Cyr dans ses mémoires, se conjuguait avec une soif jamais étanchée pour le présent et l’avenir. Il trouvait qu’on n’accordait pas la place qui leur revenait aux scientifiques, aux artistes… Le dernier mot de ses mémoires ? « J’attends le futur avec impatience ».