Ce n’est ni la femme à l’Araignée (sa Spider a été montrée par la galerie en 2022 et 2023 à Art Basel) hostile à la mère, ni la femme en rouge (ses œuvres des deux ultimes décennies avaient été présentées par l’enseigne à Hongkong en 2019) que Hauser & Wirth met en avant cet été à Zurich. Mais bien un autre aspect du travail de Louise Bourgeois : ses sculptures datant des années 1940 et 1950. Ces œuvres, accompagnées de quelques dessins et de plus rares peintures, dialoguent avec des encres ou des huiles de Barnett Newman et quelques impressionnantes toiles de Mark Rothko.
Le titre et le propos de l’exposition se réfèrent à une citation de Louise Bourgeois évoquant « The god that failed » (« le dieu qui a failli »), allusion à la remise en cause de la figure de l’autorité, que ce soit le père, l’abstraction, la psychanalyse… Le trio symbolise, chacun à sa manière, le cheminement vers cette émancipation, le passage de la représentation biomorphique vers l’abstraction et la géométrie.
Ce qui frappe d’emblée le visiteur est la verticalité des sculptures de Louise Bourgeois, semblables à une petite armée de personnages effilés en bronze peint en blanc, un peu fantomatiques. Un certain parallèle aurait pu être dressé avec ceux d’Alberto Giacometti, mais tel n’était pas le propos. Impossible de ne pas penser à des totems ou à des lingams grands comme un homme. Impossible non plus de ne pas penser à la Colonne sans fin de Brancusi face aux empilements de bronze d’une des sculptures, réalisée en 1954.
« Louise Bourgeois n’était pas vraiment une militante engagée, on ne peut pas vraiment dire cela. Son utilisation de la couleur noire se réfère davantage à la mélancolie qu’à la question black », confie le commissaire de l’exposition, Philip Larratt-Smith. Et de poursuivre : « Son mari avait écrit un livre sur le primitivisme, mais elle ne fait pas réellement écho dans son travail aux totems africains. Par ailleurs, ce n’est pas une féministe, elle parle plutôt d’elle-même et de ses humiliations, mais cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas porter une lecture féministe sur son œuvre ».
Si l’on met de côté cette lecture contemporaine très en vogue, d’autres aspects émergent, comme les angoisses de la nuit. Comment ne pas être troublé par la captivante sculpture La Forêt (Night Garden) de 1953, forêt noire où se blottit une seule silhouette blanche ? Ou par Quarantania (1949), dont la silhouette et le titre font écho à la récente pandémie mondiale ? Car, c’est toujours, au-delà d’une possible quête de spiritualité, la relation de l’un aux autres, de l’individu au groupe qui transparaît ici, dans cette convocation de totems modernes.
« The God that Failed : Louise Bourgeois, Barnett Newman, Mark Rothko », jusqu’au 16 septembre 2023 [fermé du 29 juillet au 14 août], Hauser & Wirth, Bahnhofstrasse 1, Zurich, Suisse.