Il y a quelque temps, Jane Birkin chantait sur la scène des Transmusicales: « Ex-fan des sixties où sont tes années folles/Que sont devenues toutes tes idoles ? » C’est au Couvent des Jacobins, à Rennes, que « l’esprit des années 1960 » a établi son camp de base à partir d’un choix d’œuvres de la Collection Pinault établi par Emma Lavigne, sa directrice générale.
Symboliquement, l’exposition est introduite par des collages de la fin des années 1960 de l’Américaine Martha Rosler sur le consumérisme et la condition féminine, puis deux versions de l’arrestation du chanteur Mick Jagger et du marchand d’art Robert Fraser pour possession d’héroïne par le Britannique Richard Hamilton, Swinging London (1968) et Release (1972), sur lesquels, par un jeu de papier argenté, le spectateur se reflète dans les menottes des protagonistes. Elles font face à trois photographies de l’Américain Richard Avedon : un portrait particulièrement mélancolique de Marilyn Monroe daté de 1957 et deux portraits d’Andy Warhol datés de 1969 où celui-ci montre les cicatrices de ses opérations à la suite de la tentative d’assassinat par Valerie Solanas. Le parcours s’achève sur un drapeau américain déchiqueté et mité aux couleurs du Black Power de David Hammons intitulé Oh Say Can You See (2017), et une installation particulièrement désenchantée d’Edward Kienholz, Roxys (1960-1961).
Hey, les sixties, que sont devenus tous tes espoirs de transformation de la société? Tes rêves de contre-culture et tes ambitions d’émancipation pour tous?
UN HÉRITAGE DOUX-AMER
Le décor est planté : nulle nostalgie, mais pas mal de lucidité. L’exposition fait ensuite la part belle à un match de ping-pong entre, d’un côté, Londres (Richard Hamilton, Gilbert & Georges, Timothy Noble & Susan Webster), et de l’autre, New York (Richard Avedon, Robert Gober, Alain Jacquet, Kiki Kogelnik, Barbara Kruger, Martha Rosler, Elaine Sturtevant, Niki de Saint Phalle) et Los Angeles (John Baldessari, Robert Colescott, Llyn Foulkes, Christian Marclay, Martial Raysse). Elle ménage cependant quelques belles incartades avec l’iconoclaste belge Evelyne Axell, la féministe péruvienne Teresa Burga, la férue de technologie autrichienne Kiki Kogelnik, le pop polonais Jerzy Ryszard « Jurry » Zieliński, sans oublier les cartoonistes américains Robert Colescott – dans une relecture époustouflante du Petit Chaperon rouge – et Llyn Foulkes – pour une jubilatoire mort de Mickey.
Une bande-son conçue par Étienne Daho – il a démarré sa carrière aux Transmusicales de Rennes – clôture le pas en rythmes syncopés. À cette époque, on imprimait encore les titres des chansons sur les pochettes, les lire est plus que signifiant, de « River Deep Mountain High » d’Ike et Tina Turner à « Nobody Knows the Trouble I’ve Seen » de Sam Cooke. S’il nous en reste de profondes rivières et de hautes montagnes à franchir, et des existences à connaître et reconnaître, « Sixties lives matter » semble nous dire cette exposition. Et soixante ans plus tard, les œuvres des artistes clignotent, non pas comme des enseignes, mais comme des alertes sur notre futur.
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« Forever Sixties. L’esprit des années 1960 dans la Collection Pinault », 10 juin-10 septembre 2023, couvent des Jacobins, 20, place Sainte-Anne, 35000 Rennes.