Quatre-vingt-dix ans après l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler en Allemagne et le début des persécutions des juifs d’Europe, quatre-vingt-un ans après la rafle du « Vél d’Hiv » du 16 juillet 1942, la France vient d’adopter une importante loi-cadre pour la restitution des biens culturels spoliés par les nazis. Après avoir été ratifiée par le Sénat le 23 mai, par l’Assemblée nationale le 29 juin, et par une commission mixte paritaire le 6 juillet, le Parlement a adopté définitivement et à l’unanimité le texte le 13 juillet 2023. Il devrait être promulgué par le président de la République dans les tout prochains jours. Cette nouvelle législation va permettre de plus facilement rendre à leurs légitimes propriétaires les œuvres présentes dans les collections publiques françaises dont les Juifs ont été démunies par les nazis, en Allemagne et dans les territoires qu’ils ont occupés, durant la période allant du 30 janvier 1933 au 8 mai 1945. À cela s’ajoutent aussi les pièces spoliées par l’État français entre le 10 juillet 1940 et le 24 août 1944. Selon le ministère de la Culture, « on estime qu’environ 100 000 œuvres, objets d’art ou instruments de musique et plus de 5 millions de livres ont été spoliés en France ». Cette loi-cadre va permettre une sortie plus rapide du domaine public des biens dont il est établi qu’ils ont été spoliés sans recourir systématiquement à une loi spéciale et donc sans faire appel au Parlement. Elle crée « dans le code du patrimoine, une dérogation encadrée au principe d’inaliénabilité des collections publiques : la décision de restitution sera désormais prise par la Première ministre ou par une délibération des collectivités territoriales, après avis de la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations (CIVES), commission d’experts indépendante chargée d’établir les faits de spoliation. Ainsi, lorsqu’après enquête la spoliation sera reconnue, la restitution de l’œuvre se fera de droit », précise le ministère de la Culture. Le nouveau texte autorise aussi les propriétaires de musées privés à restituer les biens qu’ils ont acquis par dons ou legs ou avec le concours financier d’une collectivité publique, en dérogation au code du patrimoine.
Cette loi-cadre est l’aboutissement d’une action volontariste du ministère de la Culture, succédant à des années d’immobilisme concernant les MNR (Biens Musées Nationaux Récupération), ces 2 200 œuvres non restituées après la guerre et confiées à la garde des musées nationaux. Seulement 184 œuvres MNR et équivalent ont été restituées depuis 1950 ! Seules 4 avaient été rendues entre 1955 et 1993, alors que 136 ont été restituées depuis 1994. Le ministère de la Culture a créé en 2019 la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 chargée de retrouver les légitimes propriétaires des œuvres MNR. Selon la Rue de Valois, « dans deux cas sur trois aujourd’hui, c’est à l’initiative du ministère de la Culture que les œuvres spoliées sont identifiées et restituées aux descendants ». La mission peut notamment s’appuyer sur les recherches menées par l’Institut national d’histoire de l’art sur le marché de l’art sous l’Occupation et la présence de chercheurs spécialisés dans les grands musées nationaux (musée du Louvre, musée d’Orsay). Ces actions sont essentielles notamment dans le contexte de la reconnaissance de la responsabilité du régime de Vichy dans les spoliations antisémites.