Le 12e Prix Jean-François Prat a été décerné au jeune artiste Jem Perucchini le 27 juin au cours d’une cérémonie au siège du cabinet d’avocats Bredin-Prat, à Paris. Le jury était présidé cette année par Manuel Borja-Villel, ancien directeur du musée Reina Sofia à Madrid et co-commissaire de la prochaine Biennale de São Paulo au Brésil, pourtant peu fervent de peinture comme il l’a souligné dans son discours. « Après tout, la peinture est anachronique. Être anachronique permet de voir le monde différemment », a-t-il expliqué.
Trois artistes avaient été sélectionnés pour le prix par un comité composé de Marie-Aline Prat, collectionneuse ; Anaël Pigeat, editor-at-large de The Art Newspaper France ; Odile Burluraux, conservatrice au musée d’art moderne de Paris ; Frédéric Brière, directeur du Fonds de dotation Bredin-Prat ; et Frédéric Bonnet, critique d’art et curateur indépendant. Pour ces trois artistes, Jem Perucchini, Mandy El-Sayegh et Philipp Timischl, « la peinture n’est pas juste un châssis sur un mur », a résumé Frédéric Brière lors de la remise du prix. Trois approches singulières de la peinture qui en renouvellent le discours.
Défendu par la commissaire d’exposition Cécile Bourne-Farrell, Jem Perucchini est le plus jeune des artistes sélectionnés cette année. Il est né en 1995 en Ethiopie et a été adopté par une famille italienne. C’est peu dire qu’il a baigné dans la culture transalpine, étudiant à l’Académie des beaux-arts de Brera, à Milan. Il a pour l’instant principalement participé à des expositions de groupe à Londres ou en solo à la galerie Corvi-Mora, notamment aux côtés de Lynette Yiadom-Boakye. Mais sa carrière devrait connaître une accélération prochaine avec sa participation à la Triennale de Milan ainsi qu’avec une exposition cette fois monographique à la Fondation Sandretto Re Rebaudengo à Turin.
L’artiste « entretient un rapport sophistiqué à la peinture », a expliqué Cécile Bourne-Farrell lors de sa présentation le 27 juin devant le parterre des votants, entretenant « une dialectique parfaite entre le fonds et la forme ». Influencé par l’école siennoise de la Renaissance, Jem Perucchini en reprend les regards de biais dans ses personnages, vaguement inquiets, intriguant en tout cas… « Rien n’est dit, rien n’est imposé » dans ses peintures, a souligné la rapporteuse. Le spectateur a l’impression, presque, de « surprendre et déranger les personnages ». L’artiste s’est plongé dans les meilleures œuvres de la Renaissance. « Comme dans les peintures de Paolo Uccello, tout est construit dans une parfaite illusion », a expliqué encore Cécile Bourne-Farrell. L’artiste se distingue de cet héritage classique à travers son choix de personnages, une atmosphère d’étrangeté et une contemporanéité accentuée par une palette de couleurs audacieuses et actuelles, en particulier dans le traitement des motifs des vêtements.
Les deux autres artistes en lice étaient sans doute plus novateurs dans la forme. Défendue par Nicolas Trembley, conservateur de la collection SYZ en Suisse, Mandy El-Sayegh est née en Malaisie en 1985 d’un père palestinien. Elle vit et travaille à Londres. Sa pratique s’appuie sur le « cut-up », consistant à couper et découper des textes, des calligraphies, de faux billets, des images tirées de magazines… Son travail, représenté par la galerie Thaddaeus Ropac, a été largement montré, que ce soit au Long Museum à Shanghai, au Consortium à Dijon ou à la 13e Biennale de Sharjah et figure déjà dans de nombreuses collections. « Ses tableaux semblent parfois suturés, jamais saturés », a expliqué le rapporteur, évoquant le quadrillage en référence à la grille très présent dans son œuvre. Son travail, souvent immersif, se veut « un acte de résistance aux positions de pouvoir », a-t-il précisé.
Enfin, le plus novateur du trio est sans aucun doute le Viennois Philipp Timischl, Autrichien né en 1989 et qui vit à Paris. Il est défendu par la galerie Layr à Vienne et son travail avait été montré en 2020 à la Fondation Fiminco à Romainville. Sa rapporteuse, la commissaire Julie Boukobza, responsable du programme de résidences de LUMA Arles, a insisté sur sa filiation avec la peinture allemande, l’artiste ayant étudié notamment auprès de Gerhard Richter. Il a été sans nul doute influencé par l’École de Cologne, comme en témoigne la partie supérieure de ses grands tableaux. Toutefois, le bas consiste en une bande-vidéo changeante qui affiche parfois des phrases sibyllines et ironiques. L’artiste a ici réussi à associer et réconcilier, au sein d’une même surface, image inerte et en mouvement, peinture et vidéo, tradition et technologie…
Dans le cadre de ce prix créé en 2012 en hommage à l’avocat Jean-François Prat, disparu l’année précédente, le lauréat recevra une dotation de 20 000 euros et les deux autres artistes en lice, 2 000 euros. En outre, un catalogue présentant leur travail est publié, tandis que les locaux du Fonds de dotation Bredin-Prat pour l’art contemporain, créé en 2017, accueillent pendant deux mois une exposition – ouverte au public – des œuvres des trois artistes.