La statue d’une jeune fille squelettique et dépenaillée, au crâne décharné, est au cœur de deux expositions qui viennent d’ouvrir leurs portes à La Piscine, à Roubaix. Le sculpteur René Iché (1897-1954) aurait modelé la sculpture en une seule nuit à Paris, en avril 1937, à la suite de la nouvelle du bombardement de Guernica en pleine guerre civile espagnole. De nombreuses femmes et enfants comptaient parmi les victimes innocentes de cette barbarie. La petite ville basque avait été prise pour cible par les avions allemands et italiens en soutien au général Franco.
Guernica (1937) de Pablo Picasso est devenue l’œuvre symbolique incarnant la dénonciation de cette atrocité, mais elle n’était pas la seule. L’attaque a provoqué une onde de choc dans les milieux artistiques et intellectuels radicaux d’Europe, suscitant des réactions de la part, entre autres, du surréaliste belge René Magritte et de l’expressionniste allemand Heinz Kiwitz ; ce dernier a été tué un an plus tard en combattant les fascistes en Espagne.
L’exposition « Guernica : l’histoire immédiate » présentée à La Piscine, à Roubaix, vise à montrer des œuvres moins connues mais très puissantes réalisées en réaction à ce bombardement. On y découvre notamment une eau-forte de Jean Deville, La mort, révélant son visage devant les ruines de Guernica, et une série de toiles de Jean Lasne – lauréat du Prix de Rome en Liberté en 1936, décerné par un jury présidé par Henri Matisse –, dont la brillante carrière fut également interrompue par sa mort au champ d’honneur lors de l’invasion de la France par l’armée allemande en 1940, à l’âge de 28 ans seulement.
La sculpture Guernica de René Iché est centrale pour l’exposition et le point de départ d’une étude monographique parallèle, « René Iché (1897-1954) : l’art en lutte » – en référence aux nombreuses études de l’artiste représentant des lutteurs en plein combat, une métaphore de l’époque. Rassemblant plus de 100 œuvres provenant de collections privées et publiques, elle vise à faire redécouvrir un artiste qui fut l’élève d’Antoine Bourdelle, l’ami d’Apollinaire et de Picasso, et un membre actif du milieu artistique et intellectuel du Montparnasse de l’entre-deux-guerres.
Vétéran de la Première Guerre mondiale et résistant pendant la Seconde, René Iché a survécu au gazage dans les tranchées et à la Gestapo dans le Paris occupé. Il était sur le point d’accéder à une reconnaissance plus large, bénéficiant d’une commande pour un monument polonais aux victimes d’Auschwitz, lorsqu’il est mort d’un cancer en 1954 – un artiste de son temps, devenu d’une pertinence qui dérange pour la nôtre.
« Guernica : l’histoire immédiate » et « René Iché (1897-1954) : l’art en lutte », 23 juin-4 septembre 2023, La Piscine, 23 rue de l’Espérance, 59100 Roubaix.