Robert Kushner : The Fabric of Gods and Goddesses : Textile Paintings from the 1980s
Apparue dans la seconde moitié des années 1970, la Pattern Painting a été rapidement balayée par les différents postmodernismes et le retour de la figuration. Substituant une trame décorative à la grille, soulignant le lien de l’art et de l’artisanat, s’ouvrant à des cultures extra-occidentales, ce mouvement avait un peu d’avance. Le temps a bien joué pour lui et pour Robert Kushner, en particulier, l’un de ses éminents représentants.
Cette présentation d’œuvres de Kushner datées des années 1980 est une révélation et l’occasion de réviser un point d’histoire. Il s’agit de grandes tentures, patchworks de tissus d’origines très diverses, sur lesquelles ont été portées des peintures à la gouache. Les figures peintes, essentiellement des contours, renvoient avec humour à certains clichés exotiques ou à la culture hippie ; une sorte de sous-texte qui n’est pas l’essentiel. L’élan est vraiment vers un dépassement de la peinture, vers l’idée d’un environnement changé par des toiles chatoyantes et hypnotiques. Les tissus choisis permettent de citer un large rang d’artistes, de Klimt à Matisse, tandis que la suspension de ces tentures au plafond fait découvrir leur réversibilité à la façon de certains Hantaï ou Viallat. C’est somptueux sans suinter le luxe, et on a l’impression de découvrir un chaînon manquant entre l’abstraction états-unienne dominante et un art contemporain mondialisé.
Du 23 mai au 22 juillet 2023, Galerie Nathalie Obadia, 91 rue du Faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris
Grisaille Vertigo
La grisaille qui donne le vertige, c’est cette technique de peinture imitant le dessin avec laquelle on peignait notamment l’extérieur des volets de retables. C’est aussi le titre d’un petit tableau de Miriam Cahn, déclencheur de cette ambitieuse exposition. Sur le thème de la grisaille, François-René Martin, historien d’art, a conçu une exposition d’œuvres anciennes (du XVIe au XIXe siècle) et contemporaines (de Colette Brunschwig à Clemens von Wedemeyer) et rédigé un ensemble de considérations sur le gris qui ouvrent bien des pistes de réflexion. À cet ensemble exposition-texte qui constitue le discours principal, et nous permet de découvrir une succession de merveilles, petites ou grandes, s’ajoute une commande passée par Jocelyn Wolff à Marc Desgrandchamps et à Francisco Tropa.
Achim Reichert, graphiste, a conçu une sorte de papier peint reproduisant des photographies de murs de palais ou de ruines historiques sur lesquelles se superposent quelques reproductions d’œuvres inaccessibles qui contribuent à donner à l’exposition l’aspect d’un livre ouvert. D’ailleurs, la reproduction d’une planche de l’Atlas Mnemosyne d’Aby Warburg figure en ouverture. C’est une belle œuvre collective, stimulante pour l’esprit qui n’empêche pas d’avoir quelques doutes quant à la persistance de la grisaille dans l’art contemporain. Le titre du tableau de Miriam Cahn, une figure tracée d’un trait enfantin, tout en valeurs de gris, semble une belle façon de ne pas répéter le mot « Grau », après Gerhard Richter et Albert Oehlen, avec lesquels elle semble en conversation. Le gris dans la peinture des années 1960 à aujourd’hui mêle questions techniques et questions d’histoire, et ferait à lui seul un imposant sujet d’exposition. La photo d’un tableau de Richter reproduit dans un quotidien signée Thomas Ruff, belle trouvaille assurément de « Grisaille Vertigo », donne déjà l’occasion d’y penser.
Du 14 mai au 1er juillet 2023, Galerie Jocelyn Wolff, 43 rue de la Commune de Paris, 93230 Romainville
Valérie Mréjen : Je collectionne les cartes postales
Il arrive que le titre d’une exposition influe sur notre comportement au moment d’y entrer. En disant « je » et en se présentant comme une collectionneuse de cartes postales, Valérie Mréjen nous convie à une rencontre avec un caractère qui est presque sûrement elle et peut-être aussi une autre : une narratrice ou un double fictionnel qui, en nous dévoilant une part de sa collection sous la forme de tirages très agrandis, y superposerait bizarrement des amorces d’histoires ou des microrécits. Ces récits sont intercalés sur les murs entre deux paires de cartes postales retouchées. Ces paires d’images sont de faux doublons, le même décor vu de deux points de vue légèrement différents : le canal de Corinthe avec ou sans navigation, une route qui mène à un village des Alpes italiennes, un paysage de rochers avec figures… Ces différences de cadre, comme de légers écarts temporels ouvrent un espace à l’imagination.
Les rehauts à la gouache font ressortir certaines figures en les effaçant, glissent un peu d’étrangeté, ou simplement marquent une présence de la couleur : quelque chose de bleu. Une paire de photos revient après un intervalle, renforçant le sentiment de se trouver devant une séquence.
Valérie Mréjen construit aussi des jeux de grilles avec une même carte postale répétée une vingtaine de fois et salue aussi les grands éditeurs de ces images en incrustant leurs noms sur les stores d’un immeuble.
En écho à ce travail, un court film, né d’une proposition de l’IMEC [Institut Mémoires de l’édition contemporaine, près de Caen], fait défiler des photos personnelles et des cartes postales de quelques célèbres écrivains avec, en voix off, des récits oniriques dits par Valérie Mréjen ou Bertrand Schefer.
Du 3 juin au 22 juillet 2023, Galerie Anne-Sarah Bénichou, 45 rue Chapon, 75003 Paris
Christophe Cuzin/Miquel Mont : Double D
Christophe Cuzin et Miquel Mont ont investi l’espace de la galerie pour en faire un terrain de jeu et de conversation. Dans ses peintures murales, Cuzin aime s’inspirer de la configuration existante en y ajoutant des contraintes, des décalages. Ici, c’est par exemple sur le mur qui nous fait face en entrant et qui conduit au bureau, la reproduction du dessin mur + ouverture sur le côtébasculé de quelques degrés et peint d’un barbouillage gris argenté. Sur le mur contigu, il a souligné une poutre au-dessus d’une niche et d’autres détails avec des couleurs primaires et du noir. C’est l’esprit de Stilj qui vient réveiller les vieilles pierres.
Comme l’aléatoire ne lui fait pas peur, il a laissé à Miquel Mont le soin de choisir les couleurs. Le même Mont expose des collages, des pages de journaux maculées de rectangles (parfois un barbouillage) de couleur à la gouache, et des phrases un peu mystérieuses, notations ou fruits de ses réflexions, qui, par le choix du caractère, se donnent l’autorité de la chose imprimée.
L’un peint les murs, le temps d’une exposition, l’autre macule les nouvelles d’hier ou d’avant-hier, et tous deux nous font comprendre que la peinture est pour eux façon de se saisir un peu du quotidien. Au centre de leur terrain d’entente, ils ont installé une étagère avec des catalogues et des tableaux empilés ; c’est la réserve et le commerce de l’art qui s’affichent avec un demi-sérieux.
Du 8 juin au 22 juillet 2023, Galerie Bernard Jordan, 12 rue Guénégaud, 75006 Paris