Dans le chœur radieux de l’abbatiale de Brou, un immense chef-d’œuvre a retrouvé la lumière. Une Pietà monumentale de Conrad Meit, maître de la Renaissance germanique dont les œuvres sont si rares, vient de renaître après une longue et minutieuse restauration. La sculpture n’était pourtant pas enfouie sous terre, mais perdue dans un recoin sombre de la cathédrale de Besançon, noyée sous un épais glaçage de crasse luisante et jaunâtre. Désormais resplendissantes après être passées entre les mains des restauratrices Fanny Grué, Hélène Dreyfus et Jennifer Vatelot, les figures d’albâtre ont retrouvé leur blancheur laiteuse, le velours, la transparence et la tendresse de leur épiderme.
Le groupe sculpté n’a pas seulement changé d’aspect : après de longs mois de tâtonnements et de recherches menées entre 2020 et 2023, la restauration lui a rendu sa cohérence et toute l’intensité de l’émotion qui s’en dégageait au XVIe siècle. Maintes fois déplacée, brisée, rassemblée, enfin maladroitement cimentée dans les années 1940, la Pietà a dû être libérée de son piteux carcan. Chaque fragment a été recollé dans les règles de l’art, et chaque bloc – d’une qualité et d’une taille exceptionnelles – a pu être repositionné afin de rétablir le lien si étroit et sensible entre chaque personnage. Autrefois affalé sur les genoux de la Vierge, le Christ mort a retrouvé son aplomb fragile, comme en suspens devant sa mère qui peine à le soutenir, dévastée par la douleur. Autrefois indifférent, l’ange qui veille sur eux, rapproché, connecté à la scène, plonge son regard d’infinie contrition dans les yeux des fidèles – spectateurs, supportant leur peine avec la même délicatesse que le bras du Fils.
Grâce à l’engagement sans faille de la DRAC de Bourgogne-Franche-Comté, le chantier s’est étendu au contexte de la sculpture, s’efforçant de lui redonner un écrin, et une histoire. Dans la cathédrale, la chapelle de l’Immaculée Conception se prépare à retrouver une Vierge de pitié transfigurée, après d’importants travaux. Soucieux de retracer le parcours chaotique de l’œuvre, depuis les carrières d’albâtre de Saint-Lothain (Jura) jusqu’à Besançon, en passant par le monastère de Brou, un comité scientifique franco-allemand entreprit dans le même temps une campagne de fouilles dans l’ancienne abbaye Saint-Vincent, sa première destination. Antoine de Montcut, un prélat proche de Marguerite d’Autriche, avait commandé cette Pietà pour y orner sa chapelle funéraire, sans doute restée inachevée, comme la sculpture.
Artiste favori de Marguerite, petite-fille de Charles le Téméraire, fille de l’empereur Maximilien de Habsbourg, femme de pouvoir et mécène, Conrad Meit travaille à cette œuvre sur le site même de Brou. Il attendait alors la réception des blocs de marbre nécessaires à l’exécution des somptueux gisants du monastère, bientôt réalisés pour la maîtresse des lieux, son époux tant aimé Philibert le Beau et sa belle-mère Marguerite de Bourbon – manifestement fort bien traitée. Grâce à l’excellente coopération entre le Centre des monuments nationaux et la Conservation régionale des monuments historiques, la Pietà retrouve ainsi sa prime demeure jusqu’en octobre, parfaitement installée aux pieds de son commanditaire, identifié dans une verrière toute proche. Le délai nécessaire à l’achèvement des prochains aménagements de la cathédrale bisontine permet d’admirer en un même lieu les plus grandes sculptures de Meit, d’ordinaire coutumier des petits formats finis et précieux.
Point d’équilibre entre la Renaissance du Nord et les modèles italiens, écho transalpin des Pietàs de Michel-Ange, liant avec autant de virtuosité la souffrance à la douceur, le groupe restauré sort définitivement de l’oubli dans lequel il était plongé. Un ouvrage passionnant publié sous la direction de Matthieu Fantoni prolonge les débats fructueux qui ont présidé à cette renaissance, et détaille les choix courageux qui, pas à pas, ont pansé les plaies d’un tel monument.
--
« La Pietà de Conrad Meit, un chef-d’œuvre révélé », jusqu’au 15 octobre 2023, Monastère royal de Brou, 63 boulevard de Brou, 01000 Bourg-en-Bresse
Publication : Restauration de la Pietà de Conrad Meit à la cathédrale de Besançon, sous la direction de Matthieu Fantoni, Snoeck, 2023, 104 pages, 15 euros