Depuis l’adolescence, Anthony Cudahy est attaché à la continuité de la peinture et à la manière dont les artistes s’influencent les uns les autres. « J’ai vraiment commencé à comprendre que la peinture était une chose que l’on pouvait pratiquer lorsque j’étais adolescent et que j’ai découvert des peintres vivants, comme Lucian Freud et Marlene Dumas, explique l’artiste américain à The Art Newspaper. La peinture est un médium très autoréférentiel. Les peintres établissent un dialogue avec d’autres peintures et ces dernières influencent les vôtres ».
Cette conviction est à la base de l’exposition « Anthony Cudahy : Conversation », présentée au musée des Beaux-Arts de Dole, en Franche-Comté, jusqu’au 10 septembre 2023. Une soixantaine de peintures de l’artiste, dont la moitié environ a été réalisée pour l’exposition, sont présentées en dialogue avec des œuvres européennes, principalement des XVIIe et XVIIIe siècles, que l’artiste a sélectionnées parmi les collections du musée. Il a non seulement visité les réserves mais aussi consulté des milliers de peintures référencées sur la base de données de l’institution. Finalement, il a affiné son choix pour sélectionner quelques dizaines de tableaux.
« J’ai été surpris de constater que toutes les œuvres auxquelles j’ai pensées, sauf deux, n’étaient pas attribuées et étaient anonymes », raconte Anthony Cudahy. La plupart d’entre elles sont des toiles sombres et de petite taille qui contrastent avec les peintures à l’huile plus grandes et aux couleurs vives de Cudahy, ainsi qu’avec ses œuvres à l’acrylique à la facture plus libre.
Anthony Cudahy dialogue avec les pièces historiques de manière symbolique et thématique. La première salle explore les passages. On peut y voir une porte en bois du XVIe siècle, dont les armoiries sont ornées d’un lion. C’est tout ce qui reste de l’ancien parlement et de l’université de Dole, lorsque la ville était la capitale de la Franche-Comté jusqu’en 1676. Plus loin, figure une cour palatiale crépusculaire avec des marches, des arcs et des passages ombragés qui rappellent Giorgio de Chirico. Ces éléments sont associés aux peintures figuratives d’Anthony Cudahy qui présentent des aplats de couleurs qui délimitent l’espace. Entrance/receiver (2022) représente un homme nu penché dans une pièce aux tons violets ; derrière la porte vert olive, un petit tableau est accroché sur un mur pêche et, au-delà, une autre figure masculine se tient dans un espace pistache sous une arche rouge et jaune. Le cadrage permet d’étendre la narration au-delà de la toile. Une autre peinture, Rest (past) (2021), représentant deux personnages masculins endormis, met en scène de petits lions sur une pelouse, ce qui renvoie à la porte sculptée.
« Le plus grand problème que j’essaie de résoudre est de savoir comment rendre la couleur plus complexe et plus palpable, explique Anthony Cudahy, qui est représenté par la galerie Semiose à Paris. Beaucoup de mes peintures montrent des zones ou des passages bien définis et la couleur sert à passer de l’un à l’autre. Pendant longtemps, j’ai pensé que mes personnages étaient comme en attente, peut-être entre deux espaces ou dans un lieu transitoire ».
Né en Floride en 1989, Anthony Cudahy a obtenu un master en art au Hunter College à New York et il vit à Brooklyn. Sa mère a étudié l’art et les emmenait souvent, son frère et lui, voir des expositions. Pourtant, la peinture figurative n’était pas à la mode lorsqu’il était étudiant et il a fallu plusieurs années pour qu’elle revienne en grâce.
« J’ai terminé mon cursus universitaire à l’apogée du Zombie Formalism, un mouvement abstrait new-yorkais, et la peinture figurative était alors considérée comme peu sérieuse et peu cool, se souvient Anthony Cudahy. Puis, les choses ont évolué et les gens se sont intéressés à la figuration et à la figuration queer. Beaucoup de choses qui étaient taboues, depuis le sujet jusqu’au support, ont étrangement changé de statut du jour au lendemain ».
Les peintures d’Anthony Cudahy ont des thèmes variés. Il peint souvent des couples homosexuels – son mari le photographe Ian Lewandowski représenté en train de manier sa chambre photographique, par exemple – et les artistes dans leurs ateliers. Certaines toiles sont ici confrontées à des peintures historiques telles que des personnages endormis ou amoureux et des baigneurs dans des paysages.
Certains détails des peintures d’Anthony Cudahy font subtilement référence aux œuvres historiques exposées. Lineage (2022), qui représente une mère avec des cheveux blonds et son enfant, comprend un poisson sur une assiette et une lame suspendue. Ces éléments trouvent un écho dans les natures mortes environnantes qui montrent un homard, un poisson et un lièvre. Parmi les autres peintures auxquelles Anthony Cudahy s’est intéressé, figure la Tour de Babel et des scènes macabres, telles qu’un squelette utilisé comme piédestal ; cette dernière toile est associée aux œuvres du peintre américain inspirées par le maître hollandais Jérôme Bosch.
Plusieurs toiles de l’artiste sont allégoriques, comme Candlefence (2021), une bougie vacillante devant un visage – une allégorie du temps qui passe. Une ambiance mystique se dégage également de Ian dancing under moon (2023), une lune mauve sur un fond violet et brun centré par une figure masculine – une œuvre combinant figuration et abstraction.
Outre le dialogue avec des œuvres historiques, l’exposition présente un polyptyque majeur de l’artiste en quatre parties. Il présente un nu masculin allongé sur un fond quadrillé et une échelle, des personnages dans un parc, une figure tenant une corde bleue sur une toile jaune, et un croissant de lune rose sur un fond blanc…
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« Anthony Cudahy – Conversation », jusqu’au 10 septembre 2023, Musée des Beaux-Arts, 85 rue des Arènes, 39100 Dole
Jeudi 15 juin à 18 h 30, rencontre avec Frédérique Butin Valentin, directrice de la galerie Semiose, sur le thème « Anthony Cudahy, parcours d’un jeune artiste contemporain sur la scène internationale de l’art ».