L’œuvre de Latifa Echakhch commandée par Art Basel pour Messeplatz est une scène vide et déconstruite. « Cela ressemblera à une grande installation vide – une installation silencieuse », explique-t-elle à The Art Newspaper. Enfin, jusqu’à ce que les artistes apparaissent. L’œuvre, intitulée Der Allplatz, c’est-à-dire « l’espace pour tous », accueille des concerts intermittents de musique expérimentale. Tandis que les visiteurs arrivent à la foire ou que le public attend l’un des tramways de Bâle, des musiciens tels que le guitariste Rhys Chatham, la musicienne électronique Jessica Ekomane et la violoncelliste Leila Bordreuil sortent leurs archets.
Latifa Echakhch espère que les sons sont inattendus, recréant sa propre expérience épiphanique d’avoir découvert cette « musique étrange » à l’âge de 21 ans. Elle cite notamment Pierre Henry, Terre Thaemlitz, Mika Vainio, Ryoji Ikeda parmi les artistes qu’elle a découverts très tôt. Elle est aussi curieuse de voir comment cette musique est perçue par les personnes qui l’entendent par hasard. L’artiste a d’ailleurs commencé à travailler sur ce projet après la fin de son exposition The Concert (2022) à la Biennale de Venise. En rupture radicale avec ses travaux précédents, elle a abordé l’exposition comme une « musicienne » plutôt qu’en tant qu’« artiste visuelle », remplissant le pavillon suisse de sons expérimentaux, faits d’harmonies et de dissonances. Elle voulait que les visiteurs repartent avec « le même sentiment que lorsqu’ils sortent d’un concert ».
La différence entre Venise et Bâle, c’est qu’en arrivant au pavillon suisse, les visiteurs savaient au moins en partie à quoi s’attendre. À Art Basel, en revanche, « les gens s’attendent à voir de l’art. Le plus grand défi de cette commande est que les gens – même ceux du monde de l’art ‑ ne sont peut-être pas préparés à entendre ce que je présente », dit-elle. En effet, c’est là l’essence même de cette œuvre : comment un espace, à l’instar d’une composition musicale, peut être poussé au-delà des attentes ?
Il est essentiel que cette scène – avec sa vue à 360 degrés – offre une programmation gratuite et ouverte à tous, même à ceux qui n’ont pas de billets d’entrée pour la foire. C’était important pour l’artiste, qui souligne que la Messeplatz ne fait pas partie de la foire. Elle relève de l’Allmend [ou « domaine public », c’est-à-dire qu’elle appartient au canton de Bâle-Ville], dit-elle, ce qui se traduit littéralement par « ce qui appartient à tout le monde ».
Le public peut être désorienté. Vous êtes devant une scène à moitié effondrée, rappelle Latifa Echakhch. Certains se demanderont peut-être si elle est terminée ou s’ils sont censés attendre autre chose, ajoute-t-elle. Mais cette désorientation est censée susciter des sentiments d'« inconfort » et de « catharsis ». L’inconfort parce que le projet demande au spectateur de se concentrer pendant qu’il attend, de faire appel à son imagination ou de s’engager dans une « projection », comme le décrit Latifa Echakhch. Et catharsis, car dans le monde socialement exigeant et truffé de règles de la foire d’art, l’inconfort est peut-être ce dont les visiteurs ont besoin.
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Art Basel, jusqu’au 18 juin 2023, Messeplatz, Bâle