De l’avis général, Art Basel, qui a ouvert ses portes ce 13 juin pour le vernissage VIP, a renoué avec la période faste précédant la pandémie. Les visiteurs sont revenus en nombre, la rumeur disant que davantage de cartes VIP avaient été accordées. Le public ? Beaucoup d’Européens, un nombre d’Asiatiques en hausse, souvent plus jeunes que les Occidentaux, et une fréquentation américaine globalement en recul, malgré la venue de plusieurs personnalités de premier plan. « Nous avons vu un peu moins d’Américains, sans doute plus prudents pour voyager depuis le Covid », confie Andreas Gegner, directeur chez Sprüth Magers. L’enseigne propose une installation d’Anne Imhof autour d’une moto posée sur une estrade, dans le droit fil de son exposition au Stedelijk Museum d’Amsterdam achevée début 2023, à vendre pour 250 000 euros.
Un démarrage pétaradant pour Art Basel. « J’ai senti une atmosphère plus vibrante lors de l’ouverture, avec plus de monde que ces dernières années, confie la conseillère de New York Ana Sokoloff. Les visiteurs sont contents d’être là, et engagés à l’achat, et les galeries sont souvent contentes de leurs premières ventes ».
Dans l’ensemble, la peinture reste très présente comme l’an dernier, souvent avec de grands formats et de grands noms au rez-de-chaussée, de Mark Bradford presque abstrait dans l’allée chez Hauser & Wirth, à 6,9 millions de dollars (l’enseigne propose également une Spider de Louise Bourgeois à 22,5 millions de dollars), à un autre Mark, Rothko, à 60 millions de dollars chez Acquavella de New York, en passant par Picasso ou Elaine de Kooning chez Almine Rech. Cette dernière a vendu 14 œuvres, jusqu’à 850 000 dollars pour Tom Wesselmann. Thaddaeus Ropac s’est entre autres délesté d’un grand nombre d’œuvres de Martha Jungwirth (jusqu’à 360 000 euros). Hauser & Wirth s’est séparé d’un Philip Guston, peinture de 1975 à 9,5 millions de dollars…
Un niveau de prix qu’on ne voit pas encore à Paris + par Art Basel… Toutefois, selon un collectionneur, les plus importantes galeries ne sortent pas toujours les plus belles œuvres des artistes, qui tendent à se raréfier… À moins qu’elles ne soient réservées aux heureux privilégiés ayant accès aux « private viewing rooms » accessibles à la foire à l’étage, discrètement mais « au nez des visiteurs pas assez VIP, une façon de bien indiquer dans quelle catégorie on se trouve et créer de l’émulation », observe un spécialiste. Par ailleurs, l’art contemporain africain et afro-américain est un peu moins visible que les années précédentes, avec pour exceptions notables un superbe Omar Ba dénonçant la corruption au Sénégal « achevé par l’artiste dimanche dernier », précise Daniel Templon et vendu le matin même de l’ouverture à un musée privé européen pour environ 200 000 euros. « Nous avons démarré sur les chapeaux de roues », ajoute Mathieu Templon. Autre exemple, cette fois historique, avec Black Man d’Alice Neel, de 1966, chez Xavier Hufkens. Le plus « techno » étant, chez Mitchell-Innes & Nash (New York), l’étonnant tondo de Jacolby Satterwhite, né en 1986, représentant le baptême aquatique de deux personnes noires. Quatre vidéos incorporées dans le cadre diffusent des scènes animées à partir du même sujet…
Face aux œuvres un brin commerciales ou délibérément « bling-bling », il est heureusement possible de dénicher à Bâle des pièces plus intimistes ou moins attendues. Derrière un rideau de perles roses digne d’un bordel, la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois a dissimulé un cabinet érotique signé de l’illustrateur de contes pour enfants Tomi Ungerer (6 000 à 14 000 euros), des dessins « que nous n’avions jamais montrés », précise Nathalie Vallois. Plus inattendu, Gagosian, pourtant adepte des pièces spectaculaires, expose dans un coin des photos de Francesca Woodman, que la galerie vient tout juste de commencer à représenter. Un peu plus loin, chez Michael Haas (Berlin et Zurich), place à une galerie de portraits par Ferdinand Hodler, Paula Modersohn-Becker, exposée en 2021-2022 à la Fondation Beyeler, ou encore un stupéfiant portrait aux chevaux par Lucian Freud, pour 1,4 million d’euros, « toutefois un peu cher pour une œuvre de jeunesse », selon un visiteur. À l’étage, figure beaucoup de peinture souvent banale, selon plusieurs collectionneurs, mais aussi des découvertes comme I Gusti Ayu Kadek Murniasih chez Gajah, basée entre autres à Jakarta et nouvel exposant, selon l’advisor londonienne Laura Gonzalez, ou enclore Runo Lagomarsino chez Nils Stærk, de Copenhague…
Avec cette édition d’un très haut niveau et d’une grande diversité, « Art Basel/Basel montre qu’elle est toujours au pinacle de la pyramide, et capable de garder cette position », souligne Ana Sokoloff. N’en déplaise aux thuriféraires de Paris + !