On n’a pas tous les jours 30 ans. C’est l’anniversaire que célèbre cette année le Concours international d’affiches de Chaumont, en Haute-Marne, à l’occasion de la 4e édition d’une manifestation ayant plusieurs fois changé d’intitulé. Elle est devenue bisannuelle à partir de 2017 sous le nom de Biennale de design graphique. Outre des sections collatérales – concours étudiant et restitutions d’ateliers scolaires –, l’édition 2023 se compose de six expositions réparties à parts égales dans deux lieux : le Centre national du graphisme et, cette année, l’ancienne école Sainte-Marie, au cœur de la vieille ville.
Dans la première institution, colonne vertébrale de la manifestation, se déploie au rez-de-chaussée le Concours d’affiches proprement dit, soit une centaine de propositions sélectionnées par un jury sur les 1 700 réceptionnées. De la plus colorée (Parachute émission radio #349, empilement de vinyles bariolés de Gilbert Schneider) au noir et blanc (Le Champ du signe de Simon Renaud) ; de la plus lisible (Mutantes du duo Supero, pour une exposition au Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel, en Suisse) à la plus énigmatique (la série Exit de Virgile Laguin) ; des personnages quasi mythiques (Meister Röckle de Neue Gestaltung, pour le Theater Magdeburg, en Allemagne) à une composition au simple trait (La Compagnie les maladroits de Geoffroy Pithon et Antonin Faurel) ; d’une sorte de « gruyère vectorisé » (Fumetto Comic Festival 2021 du trio suisse C2F) à une impression aux reflets moirés telle une flaque d’huile pour une monographie herman de vries à la galerie amstellodamoise BlockC, par le graphiste néerlandais Michiel Schuurman – désigné, cette année, Grand Prix du Jury 2023 –, les goûts sont légion, à l’instar des commanditaires qui, dans leur grande majorité, proviennent du secteur culturel.
Quelques exceptions pointent néanmoins, avec une poignée d’« autocommandes » plutôt réjouissantes, telles celle pour le collectif La Clef Revival signée Vivien Le Jeune Durhin, en vue de la sauvegarde du cinéma éponyme parisien, sur laquelle un poing levé tient une clé se transformant en poing américain ; ou celle-ci, intitulée Honte à nous de Florian Le Hegarat, sursaut de lucidité quant au récent Mondial de football au Qatar. L’affiche peut encore se faire polémique, sinon politique.
Non loin, une autre présentation intitulée « Procès d’intention » rassemble divers projets (imprimés et numériques) autour d’une question phare et salutaire : pourquoi crée-t-on encore des typographies ? Ainsi, Guillaume Roux dessine, à l’aide de l’intelligence artificielle, des univers déstructurés pour des jeux vidéo – OrtaMiklos, Memory Foam. Tandis que Karl Nawrot, lui, invente un alphabet – Lÿno Jean – à partir de lettres qu’il découpe dans des boîtes en carton de pastilles pour la vaisselle et numérise ensuite.
À l’étage du Centre, l’exposition « Parade » est, en réalité, une version revisitée de celle montée, en 2020, à la Maison d’art Bernard Anthonioz, à Nogent-sur-Marne – « Variations épicènes » –, qui avait dû s’interrompre prématurément pour cause de confinement. La commissaire, Vanina Pinter, y a non seulement rassemblé des affiches, mais aussi une série d’« objets graphiques » : livres, papiers peints, tapis ou pochettes de disques, comme celles de Sylvia Tournerie pour le label Delodio. Sophie Cure, elle, a conçu une installation intitulée Éphéméride, Le Mot du jour, constituée notamment d’une suite de mots choisis et typographiés sur des feuilles de papier que l’on arrache chaque jour, tel un calendrier éphémère en papier, et qui jonchent le sol.
Dans le second lieu, l’ancienne école Sainte-Marie, la Biennale s’installe dans trois salles de classe, pour trois présentations distinctes. La première, historique, se consacre à Joseph Le Callennec (1905-1988), auteur d’un jeu fameux, le 1000 Bornes (première version en 1954, aux éditions Dujardin). Auteur trop méconnu, au trait pourtant notoire, il fut également le père du logo La Pie qui chante ou de celui du sucre « Béghin Say », avec un B bleu et un S rouge stylisés. Dans une seconde salle, le tandem Camille Baudelaire et Olivia Grandperrin (Atelier Baudelaire) met en scène La Fabrique des caractères, installation au titre à double sens qui décrypte le marketing des marques de jouets et leurs choix graphiques – couleurs, typos, logos, formes –, ainsi que la lexicologie utilisée par l’industrie de la mode, pour arriver à un constat : les clichés ont, malheureusement, toujours le vent en poupe.
L’ultime exposition est un éloge à la création, même si cette dernière s’est vue couper l’herbe sous le pied par décision municipale. Elle évoque, en effet, une décennie (2012-2023) de résidences graphiques au Centre d’art contemporain Albert Chanot, à Clamart, dans les Hauts-de-Seine, qui a fermé et légué son fonds – Syndicat, Fanette Mellier, Müssli, Atelier Tout va bien, Stéréo Buro, etc. – au Centre national du graphisme, d’où cette présentation. A contrario, la municipalité de Chaumont, elle, a, pour l’occasion, décidé de troquer son antédiluvien logo pour une nouvelle identité visuelle signée du duo parisien Baldinger•Vu-Huu. Autre ville, autres mœurs.
« 4e Biennale internationale de design graphique », 22 mai-21 octobre 2023, Centre national du Graphisme, 1 place Émile-Goguenheim ; ancienne école Sainte-Marie, 19 rue Girardon, 52000 Chaumont.