Trisha Donnelly
Trisha Donnelly s’est toujours refusée à délivrer une quelconque présentation de son travail, que ce soit sous forme d’un descriptif technique, d’un argument conceptuel, ou d’un sens qu’il importerait de bien saisir. On a coutume de voir dans ce défi lancé à notre besoin de repères l’expression d’un radicalisme, mais peut-être est-ce au contraire une marque de respect à l’égard du public, un pari qu’elle fait sur son intelligence et sa sensibilité.
Sur tout un étage de la galerie Air de Paris, où les murs ont été repeints avec une certaine nuance de blanc et les fenêtres couvertes de films, sont présentés dans trois salles trois blocs de marbre verticaux d’un peu plus d’un mètre de hauteur, à raison d’un par salle, et dans un quatrième espace un mince bloc de pierre couché qui ressemble à une corniche et qui change la perspective d’ensemble.
Les blocs de marbre, d’origines distinctes, ont été taillés et travaillés de plusieurs façons. Ce travail fait apparaître chez l’un une face bombée et striée, chez l’autre une alternance de lisse, de rugueux et de strié, chez un troisième les seuls événements de surface sont un léger arrondi et les veines du marbre ressemblent à des déchirures. On regarde tel gris, tel rose, on cherche un dessein derrière ces gestes de tailleur de pierre inventés ou réinventés par l’artiste. Mais peut-être ces marques imprimées au marbre ne visent-elles qu’à une reconnaissance ? On se garde de prononcer le mot de sculpture parce que celle-ci reste à l’état de virtualité. Les choses ne sont pas tout à fait ce qu’elles sont, peut-être même ne sont-elles pas des choses. Le white cube cesse d’être un simple cadre protecteur, pour devenir l’espace d’une expérience intense nourrie des variations de lumière. Notre conscience et notre mémoire les relient à d’autres déambulations, à d’autres visites.
Du 26 mai au 13 juillet 2023, Air de Paris, 43 rue de la Commune de Paris, 93230 Romainville
Soufiane Ababri : Si nous ne brûlons pas, comment éclairer la nuit ?
Soufiane Ababri a fait le choix de dessiner en position allongée, en donnant à ce geste une valeur politique puisqu’il le justifie par une référence à l’Orient, mais aussi « à la place des femmes dans l’histoire de l’art ». Cette nouvelle série de Bed works a son origine dans deux grands dessins horizontaux. Dans le premier, un très long corps d’homme vu de dos, ou vu de haut, s’accroche aux chevilles d’un homme debout, de profil, représenté à une échelle moindre et qui superbement l’ignore. L’homme debout fait jaillir de sa queue tendue une pluie bleutée, de sa bouche sort une langue ou un phylactère d’un rose intense. Image d’abandon et d’humiliation mais d’un caractère solaire, et avec un sens de la comédie.
Chaque dessin et sa légende racontent une histoire à la manière d’un poème. Ababri célèbre une nouvelle fois quelques-uns de ses héros, au premier rang desquels Jean Genet. Ce dernier véritablement le hante et dans l’un des dessins, on voit différents portraits découpés du poète-ennemi décorer les murs d’une chambre aux allures de prison. Quelques murs de la galerie ont été peints en mauve, enrichis de silhouettes bondissantes qui donnent une unité à l’ensemble en même temps qu’elles font exploser le cadre. Dans un grand dessin qui fixe une scène de club rêvée, un homme torse nu, corps lourd, danse soutenu par la ferveur du groupe. Il porte une cape rouge comme un super-héros ou un boxeur. Le titre a valeur de manifeste ou de constat désenchanté, c’est selon : Aller au plaisir comme on va au devoir.
Du 4 mai au 10 juin 2023, Praz-Delavallade, 5 rue des Haudriettes, 75003 Paris
Ramin Haerizadeh, Rokni Haerizadeh, Hesam Rahmanian : « The beautiful decay of flowers in the vase »
Mêlant sculptures, peintures, vidéos, multipliant les passerelles entre genres, médiums, séries, l’exposition du trio iranien Ramin Haerizadeh, Rokni Haerizadeh et Hesam Rahmanian est du genre débordante, torrentielle.
Dans la série des Alluviums, des assiettes en terre cuite, en abondance, sont disposées sur des présentoirs filiformes en fer. Sur chacune des assiettes ont été collées des photos et leurs légendes empruntées à la presse. Ces scènes d’une actualité souvent dramatique ont été repeintes pour y faire surgir des figures fantastiques ou grotesques. Ce vrai-faux artisanat populaire corrige les actualités pour leur donner un caractère de conte moderne. Par ailleurs, les artistes ont dû recourir à une sorte de danse pour expliquer leurs intentions au forgeron qui a fabriqué les présentoirs. Les formes de ceux-ci sont inspirées par la danse et comme les choses ne sauraient s’arrêter là, les assiettes ont ensuite servi de partition à une danseuse et chorégraphe (une vidéo en rend compte).
Une autre série d’œuvres, Madame Tussaud (Her Majesty), est constituée de tableaux, polyptyques, collages, inspirés par le jubilé d’Elisabeth II et par le mariage du Prince William. Le choix de cette monarque, qui manque déjà, s’explique sans doute par le fait qu’elle symbolise le mieux l’impérialisme. D’autre part, Madame Tussaud, grand témoin de la Terreur avant de révolutionner le musée, est une figure inspirante. Les références à l’Angleterre, notamment à sa tradition caricaturale (James Gillray encore plus que Hogarth) abondent dans l’exposition. En prenant l’actualité à rebours, en recyclant l’information en performances et peintures diverses, Haerizadeh, Haerizadeh et Rahmanian tournent colère et accablement en énergie créative.
Du 14 mai au 15 juillet 2023, In Situ fabienne leclerc, 43 rue de la Commune, 93230 Romainville
Hélène Smith & Hugues Reip
Hélène Smith est une célèbre spirite genevoise dont les premières révélations ont eu lieu au début des années 1890. Ses glossolalies, transcriptions de la langue des Martiens, et dessins de paysage de la planète Mars ont éveillé l’intérêt du psychologue Théodore Flournoy, plus tard celui d’André Breton, et aujourd’hui celui des commissaires d’art contemporain. Quelques-unes de ses œuvres ont été présentées à la dernière Biennale de Venise. Les paysages extraterrestres exposés ici ont une pointe d’étrangeté mais ressemblent aussi un peu à la Suisse, signe sans doute du sérieux des visions d’Hélène.
Hugues Reip a souvent dans ses dessins et ses films exploré les univers de la magie et de la fantasmagorie, et eut même l’occasion de réaliser un film d’après des images de Méliès. Heureux de cette opportunité d’exposer avec Hélène Smith, il montre ses Black Sheeps, petits blocs de poussière, fer et papillons, suspendus que des moteurs font tourner à vive allure. Nul ne s’étonnerait de les voir planer au-dessus des pâturages de Mars. Ailleurs, des arbrisseaux reconstitués qui portent des citrons en plastique ou des capsules de verre témoignent des rêveries de Reip. Cette rencontre entre un art d’outsider et un art proto-futuriste d’aujourd’hui produit un divertissement féerique, un glissement temporel, sur le mode : « Smith me parle », ou « Je vois Reip en rêve ».
Du 28 mai au 29 juillet 2023, Galerie Laurent Godin, 36 bis rue Eugène Oudiné, 75013 Paris