Implantée historiquement à Paris, en 1993, dans le Marais, non loin du Centre Pompidou, la galerie Nathalie Obadia fête cette année ses 30 ans. En 2013, elle a inauguré un second espace dans le quartier de Matignon, marquant ainsi, comme d’autres galeries du même calibre, un repositionnement significatif sur le marché de l’art. Associant des artistes français de différentes générations (d’Eugène Leroy à Antoine Renard en passant par Carole Benzaken, Valérie Belin, Laure Prouvost, Patrick Faigenbaum, Fabrice Hyber ou encore Guillaume Leblon) à des artistes internationaux, participant à une dizaine de foires et ayant fait le choix d’une antenne à Bruxelles (ouverte depuis 2008), l’enseigne parisienne s’inscrit dans le marché mondial à partir d’un ancrage européen revendiqué.
De cette orientation spécifique et de cette – désormais longue – expérience, sa fondatrice, Nathalie Obadia, a tiré une synthèse intitulée Géopolitique de l’art contemporain, parue d’abord en 2019 et qui fait l’objet d’une nouvelle édition revue et augmentée. Sur la première de couverture de cette réédition, une photographie de la vente aux enchères record (922 millions de dollars, soit près de 894 millions d’euros) d’une partie de la collection Macklowe dispersée par Sotheby’s à New York au printemps 2022, remplace la vue d’une foire d’art contemporain. Tout en illustrant la vitalité de la place étatsunienne, visiblement intacte malgré les tempêtes politiques qu’a connues le pays, cela soulève aussi la question du poids des galeries dans les équilibres étudiés ; il en va de même des NFT (non-fungible tokens), dont l’impact – diversification saisonnière ou réelle reconfiguration – demandera encore un peu plus de recul pour être mesuré.
LA DOMINATION OCCIDENTALE
Les années qui s’ajoutent à la nouvelle édition étendent la perspective historique aux événements les plus récents, ainsi la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine. Ces derniers y sont donc vus à travers le prisme spécifique des équilibres négociés et des rapports de force suivant lesquels s’organise un marché de l’art contemporain, dont la capacité d’adaptation à la situation de crise globalisée actuelle (politique, économique, environnementale) ne cesse de méduser.
Quant à la conclusion, elle pourra nourrir la réflexion sur l’idée même de mondialisation, la puissance du soft power étatsunien, établie au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, y étant dite « toujours inégalé[e] » : « S’il est vrai que la scène artistique est devenue “poly-focale” comme l’indique un cartel explicatif du Louvre Abu Dhabi, elle reste en grande partie organisée de l’Occident, avec toujours un net avantage américain » (p. 239). Ce, précisément, parce que ce soft power œuvre à digérer les revendications sociétales contemporaines d’ouverture en les rabattant sur l’extension à de nouveaux marchés : pas si soft, donc, à l’évidence.
Nathalie Obadia, Géopolitique de l’art contemporain. Une remise en cause de l’hégémonie américaine ?, nouvelle édition revue et augmentée, Paris, Le Cavalier Bleu Éditions, 2023, 248 pages, 13 euros.