La Pictures Generation réunit à la fin des années 1970 et au début des années 1980 une constellation de jeunes artistes – Richard Bosman, Jack Goldstein, Jenny Holzer, Barbara Kruger, Sherrie Levine, Robert Longo, Richard Prince ou encore Cindy Sherman – pour qui la production d’images par la culture populaire (cinéma, publicité, presse, télévision) est centrale.
L’émergence de ces créateurs, dont la plupart deviendront des personnalités importantes de la scène contemporaine, s’est accompagnée de l’apport théorique de critiques proches de la revue October, cofondée par Rosalind Krauss. Parmi eux, Douglas Crimp qui signe en 1977 un texte fondateur à leur sujet. Désireux de s’émanciper de la tradition moderniste héritée de Clement Greenberg (formalisme, autorité de l’artiste, primauté du médium, etc.), Douglas Crimp rejette les oppositions binaires et la pureté tout en s’intéressant aux pratiques novatrices, dont celle de l’appropriation. Il contribue ainsi au renouvellement de la théorie de l’art dans une perspective postmoderniste. Ce renouvellement doit beaucoup à Roland Barthes qui, dans La Mort de l’auteur (1967), pense l’œuvre ouverte à l’interprétation plutôt que circonscrite à la seule intention de son auteur.
SÉDUCTION ET DÉPLACEMENTS
Mais pour François Aubart, la lecture de Douglas Crimp et d’October, aussi riche soit- elle, a négligé un aspect selon lui essentiel à la compréhension de la Pictures Generation : l’impact psychologique sur le spectateur d’une iconographie séductrice empruntée par ces artistes à l’industrie (les affiches Marlboro, le feuilleton Wonder Woman ou la propagande fasciste). Autrement dit, ces motifs ne sont pas neutres, leur usage génère des images mentales inédites.
François Aubart analyse les travaux d’une vingtaine d’artistes formant le noyau de la Pictures Generation, dont la moitié sont des femmes, fait suffisamment rare pour être noté. Ces artistes n’expriment pas un point de vue, que ce soit sur le rêve américain, sur le capitalisme ou sur le patriarcat. En revanche, ils choisissent d’agir de l’intérieur, en s’appropriant des moyens de production ou des attitudes, pour manipuler les images et les stéréotypes qu’elles véhiculent. Ce faisant, ils jouent avec l’expérience du plaisir visuel tout en le déplaçant sensiblement. François Aubart enrichit donc la fortune critique de la Pictures Generation d’une dimension phénoménologique, formant une troisième voie d’interprétation de ce mouvement, après celle postmoderniste de la revue October, et celle plus historique adoptée depuis quelques années par les musées.
François Aubart, L’Attitude de la Pictures Generation. Excès, passion et manipulation, Dijon, Les presses du réel, 2023, 234 pages, 28 euros.