Amelie von Wulffen : Des Pudels Kern
Attention les enfants : différentes figures peintes en papier mâché, une femme en robe du XVIIIe siècle qui écrit à sa table, et autour d’elles de drôles d’enfants, des petits monstres couverts de coquilles de moules ou de coquillages qui semblent s’ébattre entre des boîtes de chocolats dont le contenu a été versé sur le parquet. Dans la lettre qu’elle adresse à « Mon amour, mon général », la femme fait part de son souci pour l’avenir de l’OTAN. Ce joyeux foutoir qui ouvre l’exposition de tableaux d’Amelie von Wulffen, vaut pour tout ce qui va mal aujourd’hui, moquant politique et censure dans l’art.
Dans la quinzaine de peintures exposées, Amelie von Wulffen pratique le montage d’images à haute dose et les juxtapositions transhistoriques et transspatiales, en multipliant citations et fenêtres. L’artiste semble avoir choisi de se raconter en peinture (la plaquette offerte au visiteur est comme un livret). Ce qu’elle raconte, ce sont aussi bien des expériences personnelles que son goût pour les vitrines, pour les peintres de rue parisiens, pour des figures qui captent son attention (une héroïne catholique bavaroise avec un ou deux papes, Dietrich Fischer-Dieskau associé à une Aston Martin) et un amour débordant pour la peinture. Si débordant même qu’elle ose une grande déclaration sur laquelle elle aligne six autoportraits de maîtres français du XIXe siècle (de Delacroix à Redon) devant un paysage composite de vitrines, stores, morceaux de façades posés sur l’eau. Une fusion de Venise et du Bosphore, sur un mode mi-impressionniste, mi-abstrait. Le titre de l’exposition, citation du Faust de Goethe, qui signale la première apparition de Méphisto, montre, s’il en était besoin, qu’Amelie von Wulffen a le goût des métamorphoses et des atmosphères secrètes.
Du 12 mai au 24 juin 2023, Fitzpatrick Gallery, 123 rue de Turenne, 75003 Paris
Christian Holstad : The Divulgation of Tops and Bottoms
Christian Holstad se refuse à séparer, encore moins à opposer, art et artisanat, et pratique aussi bien le crochet que la céramique. Pour cette exposition en façade, il présente une série de vases ou de jarres en céramique émaillée dont la fonctionnalité n’est pas garantie et n’est de toute façon pas essentielle. Ce sont une quinzaine de pièces, comme autant de variations sur un thème imposé, présentées sur deux étagères superposées (auxquelles s’en ajoute une troisième moins chargée dans le bureau à l’arrière). Quelques empilements qui rejouent le rapport sculpture-socle, quelques formes coulantes, et une poignée de monstres marins en une structure grillagée. On va de formes très épurées à d’autres légèrement délirantes. Une de ses inspirations a été Fausto Melotti, auquel il a emprunté certaines techniques dans l’emploi de l’émail. À cette présentation sur étagères qui semble aller de soi est adjointe un sobre guéridon. Le plateau porte une céramique en deux parties, tandis que sur lui se trouve un de ces monstres déjà évoqués. Pour les pieds du guéridon, Holstad s’est très visiblement inspiré des potelets parisiens plantés sur le trottoir devant la galerie, qu’il a simplement retournés. De cette façon, il trouve à se projeter vers la rue et à faire tomber la vitrine.
Du 16 mai au 27 mai 2023, Massimo De Carlo - Pièce Unique, 57 rue de Turenne, 75003 Paris
Dora Garcia : L’insecte
Dora Garcia ne saurait se passer de textes, qu’ils soient de nature littéraire, psychiatrique, psychanalytique, ou récits biographiques. Elle construit à partir d’eux des adaptations, des transpositions sous forme de performances, films ou expositions. Cette fois, elle part de l’insecte nommé Gregor Samsa, apparu à Prague en 1915, et de La Punaise (1929), ultime pièce de Vladimir Maïakovski. Prissipkine, le héros de la pièce, endormi dans la glace avec une punaise à son cou, est ressuscité en 1979 pour découvrir un futur qui ne lui convient pas. Entre ces deux histoires d’insectes, Dora Garcia déroule une réflexion en images et mots (à laquelle elle mêle notamment James Joyce et Jacques Lacan) sur quelques bugs de l’histoire.
Neuf grands panneaux de bois, équivalents de tableaux noirs, divisent l’espace de la galerie. Sur un de leurs côtés, on peut suivre une transposition imagée de l’intrigue de La Punaise, sur l’autre côté court une timeline tracée à la craie (à lire de droite à gauche, si l’on veut respecter la chronologie) qui réunit faits politiques, faits artistiques ou littéraires choisis en toute subjectivité par l’artiste, à partir de 1929 et jusqu’au XXIe siècle. Les visiteurs sont invités à y ajouter d’autres faits marquants selon eux. Cette scénographie renvoie à l’agit-prop, dont Maïakovski fut l’un des maîtres, mais fait aussi penser au Das Kapital de Beuys.
Sur toute la hauteur du très haut mur de la galerie, sont accrochés une trentaine de dessins, schémas de réflexions, associations d’idées, portraits d’artistes, qui renvoient à d’autres œuvres de Dora Garcia ou constituent un matériau pour des œuvres à venir. En parallèle à cette installation qui mêle célébration et vision endeuillée, est projeté Love with obstacles, film que l’artiste a consacré à Alexandra Kollontaï, révolutionnaire et féministe russe. Beau et qui invite au bourdon.
Du 17 mai au 22 juillet 2023, Michel Rein, 42 rue de Turenne, 75003 Paris
Michaela Eichwald : hirnlose problemlösung gerade verworfen
Avec un titre plus drôle qu’éclairant (« Les solutions sans queue ni tête ont déjà été abandonnées »), un texte amical d’Albert Oehlen, qui vaut comme une lettre de recommandation, Michaela Eichwald nous fait comprendre que son art se passe de théories et de récits. Ce qu’elle aime, c’est employer des matières ou des matériaux de décoration bon marché, tissu ou PVC, sur lesquels la peinture (huile, acrylique, laque, bombe…) peut produire des effets inédits. Pour cet ensemble de tableaux, elle a choisi un similicuir coloré qui constitue le fond, apporte une certaine qualité de grain et résiste à l’imprégnation par la matière picturale. Elle procède généralement par grands blocs de couleur agglutinés ou superposés (façon larges taches ou façon pelotes de traits) auxquels s’ajoutent pour les formats horizontaux quelques traits libres ou rubans flottants.
Michaela Eichwald ne compose pas des tableaux, ne pratique pas non plus le all-over, mais reprend quelques gestes ou façons de faire caractéristiques du tachisme et de l’informel des années 1950 et 1960 (on pense à Dubuffet, Tàpies, voire Twombly), mais comme motif ou matériau. Ces gestes, autrefois chargés d’histoires ou de considérations existentielles, se voient offrir une nouvelle vie dans des œuvres qui ne craignent pas de flirter avec le produit commercial. Il y entre sûrement une part d’ironie, mais aussi, et peut-être avant tout, une forme d’ouverture et de détachement.
Du 10 mai au 24 juin, Galerie Marian Goodman, 79 rue du Temple, 75003 Paris