Démocratiser. Tel est le mot martelé le 15 mai par Maurice Lévy lors du lancement du site YourArt à Paris au Palais de Tokyo, qu’il a présidé de 2003 à 2007. L’ancien président du groupe Publicis pendant trente ans ambitionne d’en faire une plateforme incontournable destinée « à tous les amoureux de l’art ». « Il existe plus de 200 millions d’amateurs d’art dans le monde. Il existe aussi une population d’artistes frustrés de ne pas attirer l’attention des galeries », a-t-il expliqué. D’où le but de cette « plateforme numérique disruptive » dont l’axe principal, pour l’heure, est d’accueillir très largement les artistes : 350 y sont déjà présents. Beaucoup de noms en devenir, mais aussi des talents largement reconnus tels que Vivien Roubaud, Patrick Tosani, Constance Nouvel, Otobong Nkanga…
Si l’expérience de l’utilisateur s’inspire des Viewing Rooms des galeries et des foires largement éprouvées pendant le confinement – d’ailleurs l’ex-patronne de la FIAC, Jennifer Flay, a apporté ses conseils à YourArt –, la plateforme se veut bien plus diversifiée et attractive. Si les œuvres à vendre sont proposées comme des diapositives, avec un moteur de recherche, et options de livraison, le site offre des vidéos des artistes dans leurs ateliers. Surtout, l’intelligence artificielle permet de replacer les œuvres dans leur contexte, ou bien de suggérer d’autres pièces similaires… Il sera aussi possible d’attacher une œuvre physique à la blockchain ou à un NFC, certificat d'authenticité électronique développé par la société Arteïa. En outre, amateurs ou collectionneurs peuvent créer des musées imaginaires dans des espaces virtuels avec les œuvres de leur choix de toutes époques. Et ce n’est que le début… « J’aimerais y exposer nos artistes contemporains chinois. Mais quand YourArt proposera des univers en métavers, cela peut nous intéresser d’y héberger nos dix espaces actuellement sur des sites américains », glisse Dominique Lévy, qui a cofondé dslcollection. Et d’ajouter : « Maurice Lévy est un poids lourd, les gens auront envie d’y aller ».
À ce jour, seules 22 galeries attirées par le potentiel de nouveaux publics se sont inscrites, de Magnin-A à Air de Paris en passant par Nathalie & Georges-Philippe Vallois, à qui il en coûte 5 % de commission (10 % pour les artistes sans galeries). « Ce que je vise, c’est la fréquentation, et quelques milliers d’artistes inscrits d’ici la fin de l’année », confie Maurice Lévy, qui souhaite rendre la plateforme plus internationale au fil du temps. Ce dernier, qui a financé personnellement le projet, vient de lever 9 millions d’euros auprès de sa famille et d’amis, dont Charles-Henri Filippi, actionnaire de la maison de ventes parisienne Piasa, le milliardaire américain Henry Kravis, à l’origine du fonds KKR, ou encore Jim Breyer, qui a participé aux débuts de Facebook.
Au-delà des ajustements à mettre en place, comme une meilleure suggestion des dimensions des œuvres, avec par exemple des personnages pour donner l’échelle, la question centrale de cet Artsy à la française reste l’absence de sélection. Celle-ci reste pourtant un élément clé du marché de l’art et des professionnels. « Je veux rester le plus ouvert possible à tous les arts et à tous les artistes, explique Maurice Lévy. Pour guider l’utilisateur, il y aura des curateurs invités [dont Alain Dominique Perrin, Frédéric de Goldschmidt, Isabelle Maeght…], mais aussi l’intelligence artificielle qui inscrira les œuvres dans l’histoire de l’art ». Un premier choix d'invités opéré par Sonia Perrin.
À l’heure où le président Emmanuel Macron veut davantage défendre la place de la France dans le domaine des technologies de pointe, YourArt ambitionne de devenir « un champion de la souveraineté nationale pour le numérique. Il y a de la place pour un gros opérateur français, et Maurice Lévy a un exceptionnel réseau mondial. En outre, ce n’est que le début de l’art culture, l’art devenant de plus en plus populaire », décrypte un connaisseur. Si le dernier rapport d’Hiscox pointait un ralentissement du marché des ventes en ligne, et une intention d’achat en recul en raison de la conjoncture économique, un mouvement est en marche. Ainsi, « 44 % d’acheteurs d’œuvres d’art déclarent avoir acheté en ligne en 2022, contre 35 % en 2021, que ce soit auprès de galeries traditionnelles ou de maisons de ventes », selon le rapport. « La confiance est là : ceux qui regardaient la vente en ligne avec méfiance sont devenus des utilisateurs réguliers des plateformes. Il est trop tôt pour dire avec certitude quel sera l’impact du ralentissement actuel, mais il est certain que le marché en ligne va demeurer un vecteur de ventes important à l’avenir », déclarait ce printemps Julie Hugues, responsable Marchés Art et Clientèle privée d’Hiscox France. Un potentiel grand public que YourArt n’entend pas rater.