La France est un pays qui aime bien ranger les choses dans des catégories bien rigides. C’est par exemple le cas pour nos trois plus grands musées nationaux que sont le Louvre, Orsay et le musée national d’art moderne/Centre Pompidou, auxquels sont attribués des périodes chronologiques précises. Les collaborations entre ces établissements sont relativement rares, celle en cours est donc assez exceptionnelle. Elle l’est d’autant plus qu’elle met à l’honneur un artiste français majeur de la fin du XXe siècle et du début de XXIe siècle, qui n’a pas forcément accédé auprès du grand public à la notoriété qu’il mérite amplement : Claude Rutault (1941-2022). Pour cet hommage, intitulé « D'après les maîtres », le musée du Louvre présente, jusqu’au 25 septembre 2023, l’œuvre 115 après J.C. − 2023 dans la salle d'introduction du département des antiquités égyptiennes. Cette pièce intègre un portrait du Fayoum acquis en son temps par l’artiste. « attentif dansla mesure du possible à tout sectarisme qui guette la peinture telle que je l’envisage. c’est ainsi que j’ai acquis il y a environ 25 ans un portrait du fayoum en passant devant la vitrine d’un antiquaire spécialisé dans l’archéologie, rue des saints pères à paris. séduit par le portrait même, attiré par un objet si ancien et en même temps toujours actuel, je n’avais, en acquérant cette peinture aucun projet particulier, mais il me semblait que, contre toute attente, cette peinture résonnait avec les toiles peintes de la même couleur que le mur », a écrit Claude Rutault à propos de cette œuvre [la graphie est de l’artiste]. Au Centre Pompidou est présentée la pièce ready to be made (1994). Elle est constituée d’une pile de huit toiles non peintes, légendée d’une petite toile peinte de la même couleur que le mur, à côté de laquelle est placé un ready-made. Michel Gauthier, commissaire de cette présentation, a choisi le Porte-bouteilles (1947-1964) de Marcel Duchamp. Lors du dévoilement de cette pièce au Niveau 4 du Centre Pompidou, le comédien Mathieu Amalric a lu un ensemble de « définitions/méthodes » de l’artiste, indications faites par Claude Rutault pour installer et actualiser ses œuvres. Enfin, le musée d’Orsay propose jusqu’au 16 juillet 2023 la porte de la peinture en référence à La Porte de l’Enfer d’Auguste Rodin. Cette œuvre est placée au centre de la nef de l’ancienne gare. Lors de la soirée d’hommage, vingt-six artistes contemporain – de Dove Allouche à Raphaël Zarka, en passant par Cécile Bart, Fabrice Hyber, ORLAN, Quentin Lefranc, Vittorio Santonro, Felice Varini ou Michel Verjux – ont apporté leurs propres monochromes, tous de la même dimension, qui ont été empilés à côté de la porte de la peinture. Cette nouvelle pièce de Claude Rutault (dé-finition/méthode 227. ça fait toujours ça de moins à faire, 1982) a rejoint les collections du Centre Pompidou. Cette démarche témoigne aussi de l’importance de Claude Rutault pour toute une génération de créateurs et de sa pensée qui, dans le contexte de l’art conceptuel, a su inventer une relation profonde et décalée à la peinture et à son histoire. Les trois des plus grands musées français en témoignent admirablement.
Claude Rutault, un maître parmi les maîtres
15 mai 2023
L'éditorial de la semaine
La semaine de l'art vue par le directeur de la rédaction de The Art Newspaper France.