Mildred Thompson : L’appel de la lumière
Après des études et séjours en Allemagne, puis une installation de cinq ans à Paris, l’artiste afro-américaine Mildred Thompson (1936-2003) s’établit définitivement à Atlanta au milieu des années 1980. D’abord sculptrice, c’est à Paris qu’elle se tourne vers la peinture et fait le choix de l’abstraction. Cette décision fut mal acceptée par les amis artistes comme par les institutions qui attendaient d’une artiste noire un travail plus directement politique. Cette proche d’Audre Lorde et de James Baldwin, par ailleurs très engagée, défendra jusqu’au bout ce choix éthique et esthétique qui la marginalise. Depuis quelques années, son œuvre fait l’objet d’un certain engouement et se voit réinscrite dans une histoire de l’abstraction noire et féminine avec Alma Thomas comme figure tutélaire.
La peinture de Mildred Thompson trouve ses sources dans les improvisations de Kandinsky et certains des tableaux symbolistes de Mondrian, un élan et un style qu’elle entraîne sur un terrain moins spirituel mais tout aussi musical. L’invisible qu’elle rend visible s’inspire des Pléiades ou des champs magnétiques. Dans ses compositions se mêlent visions cosmiques et observations microscopiques qu’elle interprète très librement. Cercles de feu sur fond d’azur, dispersions de traits ou de serpentins rouges sur des jaunes éclatants, la physique et l’astrophysique croisent la culture populaire. On devine un intérêt pour Sun Ra et son univers graphique, une certaine science-fiction utopiste, sans verser toutefois dans l’afro-futurisme. Par un retour de l’histoire, la position un peu à contretemps de Mildred Thompson place aujourd’hui sa peinture légitimement aux avant-postes.
Du 10 mai au 13 juillet 2023, Galerie Lelong & Co., 13 rue de Téhéran, 75008 Paris
Nicolas Ceccaldi : Ce ne sont pas les druides que nous cherchons
Il y a peu, Nicolas Ceccaldi, Canadien de New York, exposait dans sa ville d’adoption des tableaux de vaches dans des cadres dorés de grand style. Pour sa première exposition parisienne, il a choisi cette fois des cadres en bois clair ou argenté qui produisent un effet de distanciation. Dans ces sept tableaux, on retrouve des figures de science-fiction, soldats ou robots, dans des décors neutres ou dans des paysages qui citent rapidement Eugène Boudin. On reconnaît aussi la silhouette d’un de ces troopers dans un Centre-ville, temps pluvieux, typique des salles d’attente pour cabinet médical ou agence bancaire. Le style qui inspire cette série est le « concept art », pas celui que nous connaissons mais son homonyme qui désigne une étape du travail préparatoire des productions cinématographiques ou télévisuelles. Soit une peinture, sans genre, proche d’une ébauche.
La réunion de ces tableaux d’atmosphère en produit une qui tire d’un côté vers les sources de la modernité picturale, et de l’autre vers un futur largement dépassé (Dernier Rivage évoque une célèbre vision littéraire et filmique d’un monde postapocalyptique). Belle occasion de questionner le coefficient d’art cher à Duchamp, en se glissant dans un univers de préproduction.
Une installation vidéo muette présente un buste de mannequin de vitrine sur lequel est projetée une onde pulsar qui rappellera quelque chose aux fans de Joy Division. Je lis : « on y peut reconnaître symbolisés visuellement deux thèmes musicaux qui tendent à s’annuler mutuellement ». Le « on peut » me rassure. La réussite de l’entreprise, son charme, tient précisément à son opacité et au relatif silence dont elle sait s’entourer.
Du 29 avril au 27 mai 2023, Édouard Montassut, 61 rue du Faubourg Poissonnière, 75009 Paris
Myriam Mihindou : Le Patron
Malgré un titre imposant, Myriam Mihindou a choisi pour présenter sa nouvelle exposition d’être économe de ses mots. Le patron est pour elle tout à la fois un concept et une matrice, mais ses œuvres en tissus imprégnés de thé, ou de bleu de méthyle, couverts de mots et de motifs brodés de façon grossière, nous évoquent davantage le carnet de croquis ou le journal intime que les schémas qui servent à la confection d’un vêtement.
À travers ces tissus suspendus, on entrevoit le travail d’une pensée : réflexions sur l’errance, les langues à désinence, mots-valises (Géôdaisia), mais aussi expressions d’angoisse ou de colère quand sont rapprochés des mots tels que parenticides, infants, et head shrinkers. Au sol sont disposées deux couches de repos sommaires avec en leur centre des bourrelets dessinant des motifs organiques. L’une d’elles porte le mot Enséver dont, à défaut de percer le sens, on aimerait pouvoir reconnaître les niveaux de sens. Nous sommes invités à nous y allonger sans que nous sachions s’il s’agit d’élargir l’expérience ou de vivre un moment de délassement.
Le patron serait-il une image de l’autorité et d’abord celle de la langue que l’artiste se plaît à malmener ou, comme elle l’écrit, à secouer ? Un carnet de notes pour une cérémonie ? Un dévoilement de pensées secrètes intimes ou partage d’idées ? Comme par ironie, le seul message direct est brodé en grand sur fond blanc, tous fils pendants : To suck one’s teeth, soit l’expression sonore de la colère, en deçà du langage. Aux mots, rares ou moins rares, forgés ou rassemblés par l’artiste, de faire en nous leur travail d’imprégnation.
Du 4 mai au 6 juin 2023, Maïa Muller, 19 rue Chapon, 75003 Paris
Jacent : House Call
Le duo d’artistes qui opère sous le nom de Jacent aime à concevoir ses expositions comme des environnements habitables et se plaît à fournir aussi bien les tableaux que des éléments de décor ou, parfois, des assiettes. Une partie de la galerie (Sans titre) a été aménagée en appartement tandis qu’une autre partie présente un presque classique accrochage de peintures sur céramiques ayant toutes pour motif un vase de fleurs.
Pour la partie appartement, de grands pastels encadrés représentant de façon stylisée des motifs d’architecture (comme des maquettes) alternent avec des peintures sur céramiques (divisées en carreaux) qui présentent des scènes très colorées avec figures humaines peintes larges et fluides, fleurs hypnotiques sous influence Nuit étoilée, et même un chaton.À nous de décider si cette présentation relève d’un display ou bien s’il s’agit d’une exposition comme œuvre en soi. La diversité des registres, la confrontation d’un sol en chutes de moquette un peu néoplastique et d’un mobilier de grande distribution, parfois un peu arrangé, montrent qu’on ne saurait assigner aux auteurs une place et une seule. De faux téléphones portables habillés d’une coque peinte et branchés çà et là jouent un rôle clé dans le dispositif, objets nomades qui paradoxalement incarnent l’esprit de la maison. Plutôt qu’à une œuvre d’art totale, qui semble loin des aspirations de Jacent, on songe à une peinture d’ameublement, sur le modèle de la musique du même nom, une idée, un concept, teinté d’une touche (ou deux) de sentiment.
Du 27 avril au 3 juin 2023, (Sans titre), 13, rue Michel Le Comte, 75003 Paris