Sherrie Levine
Dans chacune des deux salles de la galerie David Zwirner figure une œuvre de 2002, deux œuvres presque identiques, fausses jumelles, qui sur un socle et sous une cloche de verre réunissent chacune deux figurines : un nain du Blanche Neige de Disney (en cristal dans un cas, en verre noir dans l’autre), et un nain, du genre dit « de jardin », en bronze, sans auteur déclaré (Repetition and Difference, 2002). Où est l’original et où la copie ? Quel coefficient d’art ? Cette pièce de modeste apparence vaut comme une déclaration pour l’œuvre conceptuelle de Sherrie Levine. Celle-ci pour sa part préfère envisager l’art comme un jeu plutôt qu’un travail.
Du jeu, il en est directement question avec deux ensembles de 12 panneaux de bois peints dans son format de prédilection (20 x 16 inches) : les Dominoes et les Rectangle Paintings à motifs de damiers. Chacun des premiers reproduit la même combinaison de dominos sans bord, soit de gros points noirs et rouges, abstractions évocatrices de cartes perforées ou d’autres images. Les seconds sont des sortes de standards de l’abstraction géométrique mais s’inspirent de motifs de couvertures navajos.
Ces exercices de traduction, cette manière de courir des récits empruntant à l’histoire de l’abstraction et à la biographie des artistes, on la retrouve dans un nouvel ensemble de photos qui sont l’œuvre centrale. Des quelque 300 photographies de ciel d’Alfred Stieglitz, les Equivalent Series, Sherrie Levine en a reproduit 30 en impression giclée et groupées par 6. Ces œuvres que leur auteur qualifiait d’« image du chaos dans le monde », sont considérées comme les premières photos abstraites. À travers leur regroupement, leur mise en espace et leur confrontation avec les Rectangle Paintings, Sherrie Levine, curatrice et autrice de ces images, réveille les fantômes de Georgia O’Keeffe et de R. Mutt dont Stieglitz fut le révélateur.
Du 20 avril au 3 juin 2023, David Zwirner, 108 rue Vieille du Temple, 75003 Paris
Walton Ford : A Very Rare Sight
Dans ses grandes aquarelles, Walton Ford réunit la virtuosité du peintre animalier et un sens critique vis-à-vis de ce genre et de l’idéologie qui le porte. Puisque la référence qui vient immédiatement à l’esprit est celle d’Audubon, l’artiste tient à rappeler que celui-ci faisait tuer les oiseaux qu’il avait élus comme sujets. Ford trouve son inspiration dans différents récits d’explorations, dans la littérature ou dans le cinéma. Il réécrit l’histoire avec une puissance d’invention et un sens poétique, et par son style d’un autre âge, nous fait croire à ses fictions et à ses allégories. Dédoublement de personnalité chez un artiste qui cite Frank Frazetta parmi ses inspirations, et ne cache pas le plaisir qu’il prend à peintre dans cette manière rigoureusement appliquée qui est la sienne. Qu’il cite le journal de Virginia Woolf pour confronter deux renards sous deux lumières dans une lande anglaise, fasse le portrait d’un singe échappé du Magicien d’Oz, ou dépeigne la collision de faucons pèlerins au moment de l’arrivée de Henry Hudson à New York en 1609, Ford peut aussi bien s’identifier à une autrice que préfigurer les catastrophes du présent. Sous son son triple vêtement (peintre, conceptuel, critique), il est avant tout un conteur, frère en esprit du Mason & Dixon de Thomas Pynchon.
Du 22 avril au 3 juin 2023, Galerie Max Hetzler, 46 et 57 rue du Temple, 75004 Paris
Josh Sperling : Head over Heels
Parce que Josh Sperling a choisi de peindre sur toile et de donner à ses toiles peintes et fixées sur supports de bois les formes les plus extravagantes, son œuvre peut être rattachée à la tendance du shaped canvas apparue dans les années 1960 dans la peinture des États-Unis. Mais, alors que celle-ci était un moyen de renouveler la peinture et de répondre au défi lancé par les « objets spécifiques », Sperling ne craint ni l’objet, ni le décoratif, et offre au couple toile-châssis une second life. Dans un parcours extrêmement articulé, et en ménageant ses effets, il déroule une histoire de quelques avatars récents du tableau. Cela commence par un ensemble de compositions en cylindres imbriqués en toile brute qui évoquent les maillons d’une chaîne de vélo, suivi d’hexagones colorés fait de lignes concentriques dentelées ou bullées (Concentric Hexagon). À ces formes fermées, compactes qui rejouent en comédie la vision tragique du dernier tableau, succèdent au premier étage les Swoops, enchevêtrements de boucles de toile monochrome et enfin les Repeater Composites, larges constructions de formes superposées (ovales, triangles, pièces de puzzle) avec une touche de swing qui m’évoquent Léger dans son versant abstrait. Ces dernières compositions offrent une nouvelle façon de fendre le mur par la couleur et par le rythme. Cette combinaison d’inventivité, de savoir-faire artisanal et de découpe numériquement assistée est un double regard sur la peinture, dans son histoire aussi bien que dans son statut.
Du 21 avril au 24 mai 2023, Perrotin, 76 rue de Turenne, 75003 Paris
Katherine Bradford : Les Saltimbanques
En choisissant pour cette nouvelle série le thème du cirque et en privilégiant les acrobates, Katherine Bradfords’ouvre un large champ de possibilités et de références. Point n’est besoin d’invoquer les plus grands noms de la peinture du XXe siècle pour reconnaître chez Bradford le désir de renouer avec une certaine idée de l’art, un sens de la mission. Un art porté sur l’expérimentation, mais capable de rassembler autour de lui des spectateurs et des artistes. Les saltimbanques sont un peu les représentants ou les messagers de la peintre. À eux elle délègue le rôle de construire la composition qu’ils s’établissent en cercles, en lignes ou se jettent en travers du plan de la toile. À travers eux et leur public parfois, elle exprime sa recherche d’une communauté. Si cette recherche est très souvent présente dans ses œuvres, elle prend ici un accent plus fort, un tour plus engagé. Il est fréquent qu’on cite Mark Rothko comme l’une des influences de KatherineBradford, alors que celle-ci est moins portée à la pure expression de la couleur qu’à une stylisation propre à émouvoir et qui ne craint pas la comparaison avec l’art populaire et celui des enfants. À cette quinzaine de toiles intenses, explosives, a été ajoutée un tableau de petit format, Trapeze Slip (2009), qui montre, tracé d’un trait noir sur fond gris, un pied qui glisse d’une barre de trapèze, pointe dramatique et particulièrement touchante.
Du 20 avril au 17 juin 2023, Campoli Presti, 4 & 6 rue de Braque, 75003 Paris