En France, Paris retrouve une place majeure dans le monde de l’art, attirant toujours plus de nouvelles galeries internationales, confortées par l’arrivée de Paris+ par Art Basel. Nos voisins belges, à Bruxelles, pourraient faire grise mine. Il n’en est rien. L’affluence dans les allées d’Art Brussels, la semaine dernière, prouve que la foire géographiquement la plus proche de Paris garde toute son attractivité, forte des spécificités bruxelloises. « Paris est une métropole importante à de nombreux niveaux, notamment celui des institutions. Mais en Belgique, nous avons énormément d’initiatives privées qui aident aussi à populariser l’art contemporain. Malgré la hausse de l’immobilier à Bruxelles, les prix restent très intéressants tant pour les artistes que pour les galeries qui s’y installent », explique Nele Verhaeren, directrice d’Art Brussels.
Bruxelles, base arrière de Paris ? Pour les galeries étrangères, la capitale belge reste en effet une option intéressante. En tout état de cause, les galeries trouvent encore à Bruxelles des surfaces généreuses avec bien plus de facilité qu’à Paris, qui n’est qu’à une 1 h 20 en train. Ce n’est pas un hasard si une galerie comme Mendes Wood DM s’est installée à Bruxelles avant d’ouvrir bientôt à Paris (l’ouverture a été décalée à octobre 2023). Elle y présente actuellement les peintures monumentales mythologiques de Vojtech Kovarik. Autre Brésilienne, Jaqueline Martins vient d’ouvrir juste à côté du Sablon, quartier choisi aussi par Mendes Wood. « Cela faisait sens pour nous d’avoir une présence en Europe. Bruxelles est très centrale, facilement relié à Paris mais aussi à Londres », confie l’un des directeurs. Au moment d’Art Brussels, l’enseigne accueillait même, en sous-sol, une exposition de la galerie parisienne gb agency. L’arrivée de la galerie américaine Gladstone à Bruxelles a contribué à changer la donne, tout comme celle de nombreuses enseignes parisiennes comme Nathalie Obadia ou Templon… Gladstone présente une exposition de Jos De Gruyter consacrée à des personnages légendaires dramatiques.
Parmi les dernières ouvertures figurent Kin, inaugurée la semaine d’Art Brussels, non loin de Bozar, Eric Mouchet tout récemment près du Wiels, tandis que Christophe Gaillard a annoncé son arrivée pour septembre 2023 en face de Kanal Pompidou. Ce dernier quartier est encore à défricher, nombre de grosses galeries étant plutôt à proximité d’Ixelles où résident les collectionneurs… C’est là que la galerie Modesti Perdriolle a élu domicile en septembre 2021 après dix ans de présence d’Hervé Perdriolle à Paris. « Il faut savoir se remettre en question, les loyers sont bien moins chers ici, et il y a plus de collectionneurs curieux au mètre carré, confie ce dernier. En plus, à Paris, l’offre artistique est délirante, il y a trop de concurrence. Bruxelles est parfaite pour se lancer, pour avoir plus de visibilité ». La galerie, qui ne participait pas à la foire Art Brussels cette année, consacre une exposition très belle, malgré son thème difficile sur la guerre, à l’Indien T. Venkanna… artiste qui avait reçu le Discovery Prize à Art Brussels en 2015, alors avec une autre galerie. Plusieurs œuvres ont déjà trouvé preneur.
Quant à Art Brussels, l’un des moteurs du dynamisme bruxellois, elle pourrait tirer son épingle du jeu face à Paris. Toutefois, le collectionneur belge Alain Servais juge que la foire, si son organisateur EasyFairs y mettait plus de moyens, pourrait davantage prospecter les pays voisins, « faire venir plus de VIP européens en dehors de ceux qui adorent déjà la Belgique. Or, pour cela, il faut plus de communication, plus de brand building, organiser des présentations à l’étranger comme le font certaines grandes foires internationales… ».
Mais est-ce vraiment son intérêt d’attirer de plus grosses galeries, d’exposer des pièces plus chères, ou d’inviter le top des collectionneurs ? Ne bénéficie-t-elle pas en définitive du virage plutôt mainstream apporté par Paris+ par Art Basel, en gardant sa propre identité ? À condition cependant de rester une foire de découvertes, son grand argument. Pour Alain Servais, même dans une foire censée être « de découvertes » comme Art Brussels, peu d’exposants osent prendre des risques. « Ce sont surtout les primo participants qui ont besoin de se faire connaître », confie-t-il. Et de pointer le stand de la galerie française Septième. Celle-ci avait transformé tout son stand en vestiaire de pilotes de courses, avec des combinaisons accrochées à des patères au-dessus d’un banc courant le long du mur. Mais en regardant de plus près, les combinaisons étaient en céramique, plus vraies que nature, et rigides (12 000 euros la combinaison, 4 000 euros le casque)… L’artiste Louka Anargyros, queer, a voulu mixer les valeurs supposées de virilité dans un sport de vitesse, et l’homosexualité, dans un carambolage plutôt réussi.
Si les visiteurs restent principalement les Wallons, les Français mais aussi les Flamands, Bruxelles est « la capitale de l’Europe et tout le monde y passe », nuance Alain Servais. La galerie Almine Rech a vendu sur le salon à des clients de Hongkong et à des Américains. Hadrien de Montferrand a revu un couple de Chinois qu’il connaissait et qui se sont récemment établis à côté d’Anvers… Pour Nathalie Obadia, qui a vendu à des clients allemands, hollandais ou flamands, « ce que les visiteurs apprécient ici, c’est un peu comme à Art Paris : être bien traités par les galeristes, et ne pas se faire passer devant par de plus gros collectionneurs ! ». Pourquoi changer de formule ?