La publication se clôt sur une « série » de proses de Pierre Alferi, aussi brèves que les formes qu’il affectionne, engendrées par des mots ou enroulées autour d’eux, comme autant de variations sur la gamme de leurs multiples significations, autant de traversées en tous sens de leurs implications nombreuses, sur les terrains du pratique et du théorique, du personnel au philosophique. « Ai r», « Handicap », « Parler », « Famille/Familier », « Ping-pong », « Lyrique », « Expérience »,
« Monstre(s) », « Avancer masqué » : chacun de ces textes rappelle certains des ouvrages que l’écrivain a publiés depuis 1989, date de la parution de son essai philosophique consacré à Guillaume d’Ockham. Tous en portent les échos ou en montrent le chemin, suscitant des réminiscences et agissant à la manière des ritournelles, selon un mouvement qui n’est pas sans rapport avec ce que Pierre Alferi dit des paroles de chansons dans l’entretien avec Vera Novak et Rodolphe Burger, retranscrit dans le volume : « C’est quelque chose qui te frappe tout de suite, comme si c’était déjà un souvenir. Ça sonne comme un souvenir parce qu’on a envie que ça revienne, et que, quand ça revient, ça sonne un peu différemment, ça résonne. »
FORMES HYBRIDES
Le livre, sous la direction de Jeff Barda et Philippe Charron, est choral pour mieux épouser la dimension collaborative inhérente à la pratique de Pierre Alferi, de l’animation de revues aux cinépoèmes, en passant par les traductions de poèmes de Paul Klee, par exemple. Il résonne avec la diversité revendiquée par cet auteur qui hybride les formes, circule librement et avec la même curiosité entre les registres (de la série Z aux films d’avant garde, des crooners à la musique savante) et les régimes(du visuel et du texte, qu’il soumet aux mêmes renversements), pour mieux résister à toutes les assignations, à tous les arrêts aussi.
Pierre Alferi lui-même en a décrit les mouvements en 2015, dans Une dérive théorique (inédit, cité page 18) : « À plusieurs reprises – par des laisses, des créneaux, des calques, des arbres – j’ai essayé de figurer à même la page un espacement non linéaire et non isomorphe. Mon désir était en tout cas d’imprimer aux phrases un mouvement contagieux, des sauts, des contorsions, pour que la syntaxe devienne une chorégraphie, que la parole avance fouettée par le vers. » À l’image de son sujet, l’ouvrage est singulièrement sérieux et profondément léger. Il fait la part belle aux amitiés avec lesquelles l’auteur s’est construit, de longue date, préférant le « familier » qui « se déplace et déforme comme un filet », qui permet d’« invite[r] des mondes parallèles » et avec lequel, « bousculé par les arrivées, les départs, les rencontres, la technologie, l’Histoire […] s’opèrent les révolutions ».
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Jeff Barda et Philippe Charron (dir.), Pierre Alferi. Une pratique monstre, Dijon, Les presses du réel, 2023, 232 pages, 23 euros.