Si l’incidence du cadre sur la perception des œuvres n’est plus à démontrer, il n’est pas inutile, de temps à autre, d’en refaire l’expérience in vivo, comme une piqûre de rappel, au risque de l’écartèlement. Nombre des œuvres présentées à la Bourse de Commerce – Pinault Collection sont fascinantes et matière à réflexion, que ce soient celles de Tacita Dean, qui nous entraînent, en écho à l’actualité, dans les profondeurs du temps (Foreign Policy, 2016), ou celle d’Hicham Berrada qui nous fait assister, en une projection panoramique, à la formation d’un monde qui est aussi son délitement (Présage, 2018) ; qu’il s’agisse de l’œuvre de Robert Gober qui déploie un paysage en miniature, lumineux, humide, vivant donc, à l’intérieur d’un veston (Waterfall, 2015-2016), ou des dix peintures solaires qui composent Coronation of Sesostris (2000) de Cy Twombly et qui impriment à l’espace, dans un dialogue aussi inattendu que convaincant avec les Breathing Lines de Daniel Steegmann Mangrané, une pulsation des plus subtiles.
PEUT-ON RESTER OPTIMISTE ?
Et si l’accrochage est impeccable, tirant le meilleur parti du parcours et des différents types d’espaces, on ne peut pas indéfiniment faire abstraction du discours dans lequel ces œuvres se trouvent prises, un discours un peu trop souvent entendu pour le peu d’effets dont il est suivi, jusqu’à sonner de plus en plus comme un alibi facile : certes la lumière, après l’ombre, est on ne peut plus souhaitable, mais d’où serait-elle supposée venir ? Et n’y a-t-il rien d’autre, dans la période dans laquelle nous vivons, qu’un orage de plus, qui passera et dont nous nous relèverons ? Tout cela n’est-il qu’affaire de saisons et de phénomènes météorologiques auxquels nous n’avons qu’à nous résigner ?
Sans céder au catastrophisme, il est devenu difficile d’espérer pouvoir s’en tirer à si bon compte. Le lieu lui-même induit ces distorsions, particulièrement sensibles dans le corridor qui ceint la rotonde et d’où la fresque circulaire qui orne cette dernière, célébration du commerce mondialisé peinte dans les dernières décennies du XIXe siècle, est visible de partout. Au point que les œuvres d’Edith Dekyndt, qui entrelacent avec finesse les qualités sensibles des matériaux, leur provenance et l’histoire de leur transformation, deviennent, cantonnées dans les vitrines historiques (« Edith Dekyndt. L’origine des choses »), comme des échantillons ou spécimens insolites. Pourtant, dans l’une d’elles, plusieurs heures par jour, une personne frotte les vitres avec une gomme. Loin « d’effacer », ce transfert de matière fait plutôt apparaître, légèrement et temporairement, le filtre à travers lequel tout est vu, filtre d’autant plus fort que sans cette opération simple, il se donne pour transparent.
« Avant l’orage », jusqu'au 11 septembre 2023 ; « Edith Dekyndt. L’origine des choses », jusqu'au 31 décembre 2023, Bourse de Commerce – Pinault Collection, 2, rue de Viarmes, 75001 Paris.